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fouillée. — la philosophie des idées-forces

pourquoi nous nous défions des cadres étroits de chaque système et aimons à répéter : « Qui n’embrasse pas assez, mal étreint ; dans la philosophie comme dans l’art, la grande critique et la plus féconde n’est pas celle des erreurs, mais celle des vérités. »

Ce n’est pas nous, à vrai dire, c’est M. Renouvier lui-même qui admet pour son compte l’adage : Il n’y a pas de réfutation. « Mais nous entendons par là, dit-il, que les philosophes se sont fait illusion quand ils ont cru pouvoir se réduire mutuellement au silence à l’aide d’arguments apodictiques, irrésistibles, tels que l’absurdité patente ou la mauvaise foi cachée permissent seuls au disputant d’en esquiver la force. C’est qu’il y a toujours, au cœur de quelqu’un des principes embrassés par chacun d’eux, une affirmation, positive d’ailleurs ou négative, dont les éléments de conviction sont empruntés à sa propre énergie morale et ne sauraient être imposés à autrui, ni même souvent communiqués. Pour M. Fouillée, le cas est différent[1]. » Il est vrai, notre conception est différente. Nous reconnaissons bien avec M. Renouvier qu’entre certains principes métaphysiques, également indémontrables et également probables, la décision pratique se réduit à une décision morale où s’exprime le caractère de chacun ; mais nous n’érigeons pas avec lui la morale en critérium théorique, et nous ne voyons pas pourquoi nous serions obligés de dépasser dans nos affirmations métaphysiques les limites mêmes de notre savoir. C’est une question sur laquelle nous reviendrons un jour ; tout ce que nous voulons dire maintenant, c’est que M. Renouvier tend par un détour au procédé peu scientifique qui consiste à juger et à réfuter les systèmes d’après leur moralité et leur immoralité, ou à prétendre que si un contradicteur n’est pas convaincu de votre doctrine métaphysique, c’est en vertu de quelque raison morale et de quelque passion cachée. Les apologistes catholiques aiment à dire que les hommes auraient falsifié la géométrie s’ils y avaient eu intérêt. Oui, sans doute, les philosophes se sont fait illusion quand ils ont cru pouvoir se réduire mutuellement au silence à l’aide d’arguments apodictiques ; mais c’est parce qu’ils ont présenté comme positif ce qui est simplement conjectural, parce que, dans le conjectural même, ils n’ont pas déterminé scientifiquement les’probabilités plus ou moins grandes ; c’est encore et surtout parce qu’ils ont transporté trop vite au dehors les exclusions établies dans leur pensée entre une doctrine et une autre, parce qu’ils ont été intolérants au lieu de chercher à compléter leur pensée par celle d’autrui et à préparer ainsi la conciliation finale des doctrines.

  1. Ibid., 8 mai 1879.