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On insiste et on reproche à notre méthode des impossibilités logiques. Comment ferez-vous pour concilier des notions franchement contradictoires et « verbalement définies pour constituer la contradiction dans les termes »[1] ? — La réponse est simple : nous ne les concilierons pas. Ce ne sont pas les contradictions subjectives et logiques des hommes entre eux que nous prétendons concilier, ce sont les différents faits et les différentes lois objectives de la réalité même. Voici un habitant du pôle qui, n’ayant jamais vu que des ours blancs, déclare : « Tout ours est blanc, » et un habitant des Alpes qui dit : « Tout ours est brun. » Il est clair que nous ne prétendrons pas concilier ces deux assertions comme telles ; mais nous passerons du subjectif à l’objectif, et nous ferons voir que dans la réalité l’existence des ours blancs n’empêche nullement celle des ours bruns. M. Renouvier ne veut voir les choses qu’au point de vue purement logique ; mais ce n’est pas tout de constituer des contradictions dans les termes, il faut encore voir si ces contradictions ne sont pas artificielles. Deux affirmations absolues et universelles peuvent être également fausses : « Tout acte de l’homme est égoïste, tout acte de l’homme est désintéressé. » Il ne s’ensuit pas que l’égoïsme ne puisse coexister dans le cœur humain avec le désintéressement. De même, deux systèmes peuvent être contradictoires seulement par certaines négations ou exclusions auxquelles leurs auteurs tiennent beaucoup, mais qui cependant ne sont pas essentielles aux doctrines ; laissez ces négations ou exclusions, et l’accord deviendra possible sur le positif des idées. La contradiction vient souvent aussi des définitions plus ou moins arbitraires sur lesquelles les philosophes fondent leur système : rectifiez les définitions en vous référant à la réalité même, et vous rendrez la conciliation possible. Mais après tout, objecte encore M. Renouvier, « pour se réconcilier il faut être deux (à le vouloir), et, s’il arrive que l’un des deux adversaires ait l’esprit assez mal fait pour vouloir adopter, comme définition du libre arbitre (par exemple), une notion expressément et systématiquement contradictoire avec celle du déterminisme total et absolu, ou causalité universelle sans réserve, il n’y aura pas moyen pour l’autre de se réconcilier avec celui-là. Or nous sommes précisément de ces esprits qui se plaisent dans la clarté des notions[2]. » Et nous, nous sommes de ces esprits qui se plaisent encore plus dans la clarté des choses mêmes et dans la sincérité des notions qui les traduisent. Nous ne croyons pas, comme Raymond Lulle, à la vertu magique des définitions. M. Renouvier

  1. Critique philosophique, 25 sept. 1873.
  2. Ibid.