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suite d’une blessure à la tête, se mettait en position comme s’il allait assister à une scène de combat quand on lui plaçait dans la main une canne coudée.

Il est évident qu’il y a là une erreur, s’il m’est permis d’employer cette expression, de la classe de celles que nous avons déjà vues. Une partie de l’impression extérieure est seule perçue et seule peut déterminer l’action : c’est celle qui, grâce aux expériences antérieures, peut être plus facilement reçue et qui réveille d’anciennes tendances. La canne coudée agit par ses ressemblances avec un fusil, la corde par ses ressemblances avec une bande de linge.

L’habitude est une des principales causes qui peuvent faciliter un fait physio-psychologique. Les faits que je viens de citer peuvent être attribués en somme à une sorte d’induction sensorielle. L’attention, la force de l’excitation, et des circonstances particulières peuvent intervenir tantôt pour venir en aide à l’habitude, tantôt pour la combattre. On a pu le remarquer souvent, et les faits que j’ai cités offrent plusieurs exemples de ce cas.

Voici quelques cas où l’illusion est déterminée par d’autres causes que l’habitude, intervenant pour favoriser, au détriment des autres, une excitation ou une tendance particulière.

Attention, préoccupation. — « L’observation montre que la succession interne de nos perceptions peut ne pas correspondre à la succession externe des excitations : en d’autres termes, une excitation qui, en réalité, est postérieure à une autre, peut être perçue comme antérieure. L’observation intérieure ne laisse aucun doute sur la cause de cette illusion : elle est due à l’état variable d’effort de l’attention. Quand l’effort est faible, cela n’a jamais lieu ; mais, quand il est intense, il peut se produire une véritable anticipation de l’esprit[1]. » Quelquefois l’illusion est volontaire. Brierre de Boismont parle d’un peintre qui, après avoir regardé attentivement son modèle pendant une demi-heure, en esquissant ses traits sur la toile, pouvait à volonté, quand le modèle n’y était plus, l’apercevoir aussi distinctement que lorsqu’il était assis sur sa chaise, devant le peintre[2]. »

Force de l’impression et de l’émotion qu’elle produit. — Une dame, après avoir eu avec trois personnes une conversation qui l’impressionna vivement, eut sans cesse cette conversation présente à l’esprit ; elle ne pouvait s’en distraire. « Quelques jours après, elle présenta les phénomènes suivants : quand elle est dans sa chambre

  1. Th. Ribot, De la durée des actes psychiques (Revue philosophique, mars 1876).
  2. Des hallucinations, p. 25.