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ses adversaires ; car c’est subordonner l’intuition d’espace à un élément empirique objectif, la sensation, et par suite assimiler, de loin ou de près, cette intuition aux représentations propres à chaque sens, au lieu d’en faire, comme le veut Kant, la condition générale de l’intuition des phénomènes externes. Un tel compromis entre les éléments empiriques et les éléments à priori de la pensée est formellement repoussé par la Critique, comme le prouve ce curieux passage relatif à la notion d’espace : « Cette condition subjective de tous les phénomènes extérieurs ne peut être comparée à aucune autre. Le goût agréable d’un vin n’appartient pas aux propriétés objectives de ce vin, c’est-à-dire aux propriétés d’un objet considéré comme tel, même comme phénomène, mais à la nature particulière du sens du sujet qui en jouit. Les couleurs ne sont pas des qualités des corps à l’intuition desquels elles se rapportent, mais seulement des modifications du sens de la vue affecté par la lumière d’une certaine façon. Au contraire, l’espace, comme condition de phénomènes extérieurs, appartient nécessairement au phénomène ou à l’intuition du phénomène. La saveur et la couleur ne sont point du tout des conditions tellement nécessaires que sans elles les choses ne pourraient devenir pour nous des objets des sens. Ce ne sont que des effets de l’organisation particulière de nos sens, liés accidentellement au phénomène. Elles ne sont donc pas non plus des représentations à priori, mais elles se fondent sur la sensation, ou même, comme une saveur agréable, sur le sentiment du plaisir (ou de la peine, c’est-à-dire sur un effet de la sensation. Aussi personne ne saurait-il avoir à priori l’idée d’une couleur ou celle d’une saveur, tandis que, l’espace ne concernant que la forme pure de l’intuition et ne renfermant par conséquent aucune sensation (rien d’empirique), tous ses modes et toutes ses propriétés peuvent et doivent même être représentés à priori, pour donner lieu aux concepts des ligures et de leurs rapports. » (Esthétique transcendentale, avant-dernier alinéa de la 1re édition, traduction Barni, page 84, en note.)

M. Wundt a sévèrement condamné la doctrine de M. Lotze, mais du point de vue physiologique, ce qui ne tranche point la question philosophique. Il admet, lui, que la notion d’espace est le résultat d’une genèse effective, non plus idéale et imaginaire ; elle est bien le produit d’une synthèse psychologique où entrent comme éléments les sensations de mouvement d’une part, les signes locaux de l’autre. Par là se trouve altéré le caractère d’ « idéalité transcendantale » que Kant déclarait être l’essence même de cette notion. Au lieu de demeurer, selon le langage de ce maître, la condition de la possibilité de toute expérience extérieure, elle devient avec