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façonne elle-même en réunissant d’abord ses impressions dans des synthèses. C’est ce qu’elle fait pour l’idée même du corps.


IV


Essayons donc par l’analyse subjective de découvrir les conditions primordiales de la localisation.

Avant le premier acte délocalisation, il n’y a pour le sujet sentant aucune représentation possible, ni d’étendue corporelle, ni d’espace externe. Dans cet état, notre corps n’est pour nous qu’une masse confuse de sensations multiples, venues de tous les points de l’organisme, et indistinctes ; si quelques-unes, d’une violence exceptionnelle, comme une douleur convulsive, une nausée, se produisent, elles effacent momentanément toutes les autres impressions. Le moi engourdi ne se distingue néanmoins pas encore de ses modifications passives : la « conscience de soi » est contemporaine du premier effort moteur, la psychologie le sait depuis Maine de Biran. Alors aussi commence le processus des localisations primaires, parallèle aux étapes de l’activité motrice : mouvement d’effort, tension continue et prolongée, mouvement de tension combiné avec mouvement de translation.

Première phase : Le sujet sentant réagit volontairement contre une douleur ressentie, ou meut ses membres par besoin d’exercice, mais avec effort. En raison de ces mouvements d’effort élémentaires, le chaos primitif des sensations se débrouille : il se forme des groupes de sensations qui se tiennent toujours ensemble et constituent des espèces d’unités, reparaissant toujours à la suite d’un certain mouvement actif pour disparaître avec lui. Telle sorte de mouvement actif ou d’effort, tel groupe de sensations. Les impressions ne sont point localisées du coup, mais leur masse primitivement confuse s’est morcelée en une multitude d’agrégats de sensation ; les sensations, sectionnées en blocs, se trouvent par le fait distinguées et « mises pour ainsi dire les unes hors des autres[1] ». Voilà le résultat d’une première action motrice volontaire, répétée sur les divers points de l’organisme en consécution d’une excitation externe ou interne. Le sujet sentant qui meut ainsi son bras, ou sa tête, ou ses doigts, ne continue pas moins d’ignorer ce que c’est que corps et espace.

  1. Maine de Biran. Origine de la connaissance que nous avons de notre propre corps (Œuvres inédites, vol. I, p. 237).