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non d’autres, de ne pouvoir, par exemple, croire à un espace non-euclidien de 4 ou 5 dimensions, est une limitation, un appauvrissement de son être, de même que l’impossibilité où est le daltonien de penser au rouge.

Les deux propriétés dont je parle étant données comme primitivement inhérentes à un être spirituel quelconque, même au dernier protiste, leur spécification en soi-disant catégories peut être conçue comme résultant des caractères de l’espèce animale dont cet être fait partie.

Par bonheur, je puis établir ma thèse principale indépendamment des conjectures que j’indique. Il me suffira de signaler en outre, comme l’ait d’observation, la permanence du croire et du désirer, leur identité constante, à travers tous les bouleversements qu’opèrent en nous le rêve et la folie. Toutes nos liaisons d’idées, même les plus enracinées, peuvent être brisées alors ; mais, à l’instant, elles sont remplacées par d’autres, aussi fortes momentanément. De là les illusions et aussi les émotions profondes propres à ces états. Très souvent, en rêvant, je vois mon vieil ami Paul et je l’appelle Jacques, pendant que, dans le même rêve, j’appelle Paul un étranger. Bien plus, on peut imaginer, au fond des eaux, des zoophytes dépourvus de toutes nos sensations et doués en revanche de sens qui nous manquent ( d’un sens de l’électricité si l’on veut) ; mais on aura beau faire, on ne parviendra par nul effort d’esprit à concevoir un animal, un organisme monocellulaire, qui, étant sensible, ne serait pas doué de croyance et de désir, c’est-à-dire ne joindrait pas et ne disjoindrait pas, ne retiendrait pas ou ne repousserait pas ses impressions, ses marques sensationnelles quelconques, avec plus ou moins d’intensité. M. Delbœuf[1] dit très bien que l’infusoire même peut prononcer ce jugement muet : J’ai chaud.

Tenons donc pour certaines la constance et l’universalité de ces deux propriétés élémentaires, et, par suite, leur indépendance, je ne dis pas à l’égard de l’état du cerveau, dont la tonicité ou le relâchement influe si clairement sur notre dogmatisme ou notre audace, c’est-à-dire sur l’actuation plus ou moins entravée ou aidée de nos deux puissances, mais à l’égard des sensations.

Cela posé, avant de discuter le caractère quantitatif de ces modes de l’âme, nous croyons utile de faire voir, pour ainsi dire, à l’œuvre notre théorie ci-dessus, et de montrer la facilité avec laquelle s’explique, suivant elle, la formation des combinaisons mentales les plus énigmatiques, les plus indécomposables en apparence. La croyance,

  1. La Psychologie comme science naturelle, p. 9.