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aucune prise. » Et que d’autres nœuds gordiens de ce genre dont Cournot ne parle pas ! Si une divinité clémente nous proposait, moyennant une guerre qui nous coûterait 10 000 hommes seulement, la restitution de l’Alsace et de la Lorraine et de notre gloire militaire éclipsée, quel homme d’Etat français refuserait une offre pareille ? Et cependant quelle mesure commune y a-t-il entre l’intérêt majeur de continuer à vivre, pour 10 000 d’entre nous, et l’avantage pour le reste de leurs concitoyens de se dire qu’ils appartiennent à une nation un peu plus glorieuse et plus étendue ? En pareil cas, je voudrais voir apporter les balances de Bentham. Napoléon, en 1814, après sa dernière défaite, eut une dernière idée exorbitante, au dire de M. Thiers. Les alliés étaient tous dans Paris, avec leurs 500 000 hommes, enivrés et sûrs de leur triomphe ; il était à quelques lieues de là, jugé perdu, à portée de son artillerie et d’une poignée de troupes. Ne pouvait-il, un peu d’astuce aidant, aller s’emparer des hauteurs de Paris, et, de là, bombarder, exterminer tous ses ennemis à la fois ? Il fallait écraser avec eux le tiers ou la moitié des Parisiens, et Notre-Dame, et les Tuileries, et le Louvre, tout ce que la sédition a détruit depuis lors ou tenté de détruire ; mais, à ce prix et à l’exemple du czar incendiant Moscou, la France, tombée, se redressait subitement à une hauteur inconnue, son rêve séculaire s’accomplissait, elle faisait la loi au monde… Quand ce projet impérial fut communiqué aux maréchaux, ils reculèrent d’horreur. En admettant qu’il fût exécutable, qu’eût décidé à leur place, logiquement, un utilitaire patriote ?

Deux pages après avoir déclaré insolubles des questions de cet ordre, Cournot aperçoit la voie par laquelle pourrait être trouvée la solution de quelques-uns d’entre eux, de ceux que soulève l’économie politique. « La valeur vénale, dit-il, a pris cours parmi les hommes, justement pour permettre de comparer numériquement des choses si peu similaires qu’autrement elles ne pourraient être comparées. » Elle n’est, à ses yeux, qu’une commune mesure fictive, conventionnellement choisie ou acceptée de force, entre choses hétérogènes, et ce n’est qu’en les mutilant qu’elle permettrait de les évaluer. Elle serait le signe, l’expression arithmétique d’une quantité ou de quantités non pas réelles, mais imaginaires.

En cela, Cournot suppose, comme tout le monde, par habitude, que les produits ou les services exprimés par des sommes d’argent sont les sensations diverses, visuelles, tactiles, sonores ou autres, et, en général, les états de l’âme spéciaux que ces biens nous représentent ; et il est certain que, s’il en était ainsi, l’application des nombres à la comparaison de ces choses sans nul rapport, bizarre-