Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/316

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
306
revue philosophique

formation et d’une différenciation antérieures ; ce qu’étaient les formes-souches dont nous ne trouvons de trace nulle part, et quelles séries de formes les espèces actuelles ont traversées. Demandez-vous à connaître quelle fut la forme ancestrale de telles et telles espèces aujourd’hui distinguées ? On vous répond : considérez les formes embryonnaires des unes et des autres, et vous constaterez d’autant plus de ressemblance entre elles que vous les comparerez à une époque plus primitive de leur évolution. Remarquez de plus que certaines formes végétales ou animales concordent avec les formes juvéniles de types beaucoup plus élevés, et que d’autres formes disparues durant la période géologique antécédente sont, à ne s’y point tromper, les formes embryonnaires d’espèces supérieures actuellement vivantes. Pour tout dire, l’histoire de l’embryon explique l’histoire de l’espèce, laquelle résulte de deux facteurs : l’hérédité et l’adaptation.

À ces adroites raisons, Wigand objecte que cette loi biogénétique n’est en somme qu’une simple hypothèse spéculative : où sont les faits d’expérience propres à l’établir ? On invoque la loi d’hérédité homochrone, ou aux âges correspondants : le bœuf, dit-on, a acquis des cornes un beau jour, et le veau en acquiert lui aussi à la même époque de sa vie. C’est croire, répond notre auteur, que la transmission d’une acquisition nouvelle, au lieu d’être un acte essentiel de l’évolution organique, se fait d’une façon tout extérieure d’une génération à l’autre. La corrélation de l’ontogenèse et de la phylogenèse, même en admettant la doctrine transformiste, n’est encore qu’une hypothèse. La fameuse théorie de la Gastrœa, « ce type primitif ayant servi de souche commune aux six grands groupes zoologiques » (Hæckel), se réduit de même à une analogie tout à fait lointaine et extérieure entre des formes embryonnaires. Leur ressemblance superficielle est illusoire : le chien et l’homme sont déjà distincts dans leurs embryons respectifs. Quant à la ressemblance de formés actuellement fixées ou de certaines formes fossiles avec les formes juvéniles d’espèces plus élevées, elle se réduit à un petit nombre de caractères, tout le reste étant différent : elle ne démontre donc nullement L’existence d’un lien génétique commun.

Que dire de l’adaptation des organismes à des fins définies ! Jusqu’à nos jours, la merveilleuse organisation de la plante ou de l’animal avait été considérée comme la conséquence d’une loi morphologique (Bildungsgesetz) héritée des ancêtres, telle quelle. En présence de l’admirable accommodation de l’organisme aux conditions extérieures, chacun disait : « Cela a été ainsi dès le commencement ; » ou : « L’individu a recherché cet avantage en vertu d’une impulsion instinctive, ou bien encore il y a été amené, comme la plante, par les circonstances extérieures. » Quant à la cause dernière, la plupart la concevaient sans pouvoir en rendre compte.

Le darwinisme au contraire « prétend faire de tout cela un simple problème scientifique, diese Thatsache naturwissenschaflich begreiflich machen, et ramener ces questions à la relation générale de cause