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périodiques. — Zeitschrift für Völkerpsychologie.

personnification poétique est pour les races primitives l’expression même de la vérité. — Le moi, qui croit retrouver son semblable partout où se manifeste une activité, ne savoure son existence dans toute sa plénitude qu’autant qu’il déploie avec énergie et en toute liberté le besoin d’action qui le constitue essentiellement, qu’autant qu’il traduit au dehors par ses mouvements les sensations et les idées qui se pressent en lui. Les mouvements de la danse, les chants et les pantomimes qui les accompagnent, tiennent une place d’autant plus grande dans la vie des races sauvages, que leurs émotions sont plus vives et leurs langues plus impuissantes à les traduire. Le besoin de confesser à autrui ses fautes ou ses desseins mauvais et de se délivrer ainsi de l’obsession des unes et des autres répond à une disposition du même genre. L’homme enfin veut agir sur le monde qui l’entoure, changer la forme des objets, non seulement pour les accommoder à ses usages, mais pour se donner le sentiment de sa force. Il prend même plaisir au mensonge, non pour le profit qu’il en retire, mais pour le plaisir qu’il trouve à mettre un autre homme dans sa dépendance en le trompant. Enfin, là où il ne peut modifier la nature à son gré, il prouve encore sa force en modifiant son propre corps. Certaines tribus de l’Afrique s’arrachent les dents de la mâchoire supérieure, pour ne pas ressembler au zèbre, animal inutile, et se rapprocher davantage du bœuf, qui rend de si grands services. Les Arowakes ont l’habitude de tourner le dos à leurs interlocuteurs ; il ne convient qu’aux chiens, disent-ils, de se regarder face à face. Les habitants de l’archipel malais considèrent comme un déshonneur d’avoir les dents blanches ; pour ne pas ressembler au chien, qui les a de cette couleur, ils prennent soin de les enduire de couleur.

Moritz Carrière : L’ordre moral du monde (Die sittliche Weltordnung, Leipzig, Brockhaus, 1877). Analyse par L. Weis.

« Ce livre contient le développement scientifique des idées qui ont inspiré mes écrits sur l’art, la religion et l’histoire. Il est comme le fruit lentement mûri de mes études dans ces différentes voies, et comme la philosophie qui s’est dégagée pour moi des joies et des souffrances de la vie. » C’est par ces paroles que s’ouvre l’introduction du livre ; le caractère personnel de l’œuvre s’accuse dès le début. Le premier chapitre, sous le titre de L’ordre mécanique de la nature et le matérialisme, contient une vigoureuse réfutation du matérialisme. « La matière, selon Carrière, n’est qu’une manifestation de la force ; le matérialisme commet donc la faute d’ériger en premier principe des choses ce qui n’apparaît qu’au second plan. » Weis se demande s’il ne serait pas plus juste de dire que la matière et la force ne sont que les deux noms d’une seule et même chose, qu’on envisage sous deux points de vue différents ? Carrière réussit mieux à montrer que les lois de la nature ne sont pas les puissances productrices des faits, mais simplement les formes constantes que revêt la manifestation des forces naturelles. Il n’y a de causalité, de réalité véritable que dans