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sionner la foule. Tout cependant nous porte à croire que, dans le petit cercle des personnes curieuses des choses de la pensée, les hardiesses du livre produisirent quelque émoi. Collier avait distancé de beaucoup tout le monde. Berkeley même était moins explicite, et le bon Norris s’était timidement astreint à populariser son idole, Malebranche, prévenant avec soin les reproches des craintifs et déclarant bien haut que nier la réalité des choses environnantes serait un ridicule excès de scepticisme. Une polémique, par instants assez vive, fut engagée entre le nouvel idéaliste et les sages partisans de la philosophie courante. Il est regrettable que les lettres échangées ne nous aient pas été conservées : nous aurions là un curieux dialogue. Quelques-unes des réponses adressées par Collier à ses contradicteurs nous sont parvenues cependant, et nous pouvons soupçonner à la chaleur des ripostes la vivacité de l’attaque. C’est ainsi que le docteur Samuel Clarke, sorte de patriarche philosophe, dont les plus indépendants novateurs, tels que Berkeley, Butler, Hutcheson, vinrent plus d’une fois solliciter les avis, eut assez de lire le titre du traité pour en estimer la valeur. Pour toute appréciation, il se contenta d’un sourire accompagné de ces mots : « Pauvre monsieur ! Il me fait peine. Ce serait un philosophe, n’était l’étrange tâche qu’il s’est assignée, car on ne saurait pas plus réfuter sa thèse qu’il ne peut lui-même l’établir. » Un ami discret répéta le mot à l’intéressé, qui n’eut garde de s’en offenser, mais adressa sur l’heure au docteur Clarke une longue lettre où il prouva que, si son railleur avait lu le livre, il l’aurait plus favorablement jugé. Enfin, à un certain docteur Waterland qui venait de réunir en volume une série de sermons où les opinions des principaux philosophes du temps étaient critiquées avec autant d’âpreté que d’ignorance, Collier, qui avait la plume prompte, répliqua en lui infligeant un cours de métaphysique en huit pages, que le bonhomme ne lut probablement pas et avec raison, car il ne les eût pas comprises. De ces premiers démêlés avec les défenseurs du sens commun, il semble que le belliqueux métaphysicien ait toujours gardé quelque ressentiment, car, plus tard, dans ses débats théologiques, c’est contre eux de préférence qu’il dirigera ses coups.

En Collier, le théologien n’était pas moins original que le philosophe n’était téméraire. Recteur de Langford Magna, il trouvait une chaire toute prête d’où il pouvait répandre les thèses religieuses qui lui étaient chères. Même s’il parlait devant un petit auditoire composé de gens à courte science, naïfs et simples de cœur, il s’efforçait de les élever à la vérité et non d’abaisser la vérité jusqu’à eux. Ce n’est pas une médiocre marque de la sublimité de son esprit que