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qu’autant qu’il participe de l’intelligence divine : c’est en Dieu qu’il raisonne, perçoit, touche, voit et entend. Les premiers versets de la Genèse[1] sont matière à interprétation. Dieu n’a point créé un arbre matériel, chose impossible, absurde, puisque la matière n’existe pas ; il a conçu l’idée de l’arbre, il l’a projeté dans son Verbe, ce lieu des idées, et c’est parce que cette idée nous devient à nous-mêmes présente que nous voyons des arbres et que nous en parlons. — On nous permettra de remarquer en passant que les exigences de la raison commune et de la science naturelle sont entièrement satisfaites ; car il est évident que l’idée d’arbre enferme tous les attributs, tous les traits que le réalisme ordinaire reconnaît à la chose, comme le tronc, les branches, les feuilles et le détail pour ainsi dire infini des cellules. L’arbre ne s’évanouira pas à mes yeux et ne se dissipera pas dans mes mains, parce que je lui aurai dénié toute réalité indépendante de la forme idéale qui me le dépeint : nul des caractères que mes sens lui attribuent ne sera en rien modifié. Seulement, là où le vulgaire aperçoit comme le vêtement d’un substratum persistant, bien que dérobé à nos prises, un observateur plus attentif découvre un canevas d’impressions individuelles ressenties par la conscience, assemblées par l’imagination, coordonnées enfin par l’entendement. Mais de cet idéalisme scientifique au réalisme courant, la différence est exclusivement théorique et porte à des profondeurs où la connaissance relative de ce monde ne pénètre pas. Pour l’un et l’autre, l’aspect de la nature est le même. On serait donc mal venu à invoquer les scrupules du sens commun. À supposer que telle ou telle conception de l’univers lui déplût, on aurait droit de-récuser sa compétence, puisque par définition, il n’est autre chose qu’une raison superficielle, enfermée dans le domaine du relatif et du changeant, puisque même la spéculation philosophique n’a de raison d’être que l’impuissance où il est de plonger au cœur de l’existence. La vérité ne se vote pas à coups de suffrages, et, dès que l’absolu est en cause, c’est le bon sens lui-même, arbitre souverain partout ailleurs, qui nous enjoint de ne le point consulter. Que l’on se rassure cependant, bien loin de rompre en visière au sens commun, l’idéalisme serait peut-être, de tous les systèmes philosophiques, celui qui lui donne le plus sincèrement satisfaction, parce qu’il est le seul qui laisse chaque chose à son rang, s’abstienne de violenter les sciences de la nature, et place l’objet de ses recherches à des hauteurs où ces sciences n’aspirent pas.

  1. Toutes ces idées avaient été exposées par Collier dans sa Logology. Elles sont remarquablement développées dans le sermon qu’il publia sous ce titre : A specimen of the true philosophy.