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Ces remarques n’étaient point de trop : toute méprise ou toute feinte est dès maintenant prévenue. Arthur Collier peut en pleine sécurité procéder à la démonstration de la double proposition qui résume son traité :

1o Le monde visible n’est point extérieur ;

2o Un monde matériel extérieur ne saurait absolument pas exister.


IV


Selon la plupart des hommes, le plus sûr garant de l’extériorité du monde est l’œil. Pour être vu, il faut exister, et, si le monde est visible, c’est parce qu’il est réel. Ces deux termes, apparaître, exister, l’opinion générale les a rivés l’un à l’autre. Or c’est précisément cette association menteuse qu’il importe de rompre. Ce sera assez, pour y réussir, de fonder une distinction entre l’extériorité apparente et l’extériorité véritable.

Comme premier exemple d’un cas où éclate cette différence, l’auteur cite les perceptions, qu’il appelle possibles, parce qu’il leur suffirait d’un accroissement d’intensité pour se produire réellement en nous. Supposons quApelle imagine un centaure, par conséquent un monstre qui n’exista jamais ailleurs que dans la fantaisie des poètes et des peintres. Au moment où il fixe sur sa fiction les « yeux de l’âme », la voit-il comme au dehors ou comme au dedans de lui ? Evidemment au dehors, ainsi que tout autre objet visible. Pourtant elle ne réside qu’en lui. On alléguera qu’imaginer n’est pas voir, il est vrai. Dans un cas, la perception est faible, flottante ; dans l’autre, vive et précise. Mais concevons que Dieu agisse sur l’esprit d’Apelle (ici Collier se souvient de Malebranche), de telle sorte que la perception imaginaire devienne de plus en plus nette et distincte. Bientôt elle ne différera plus des perceptions dites réelles qui révèlent tout autre corps, et il deviendra impossible à qui que ce soit de distinguer en rien un centaure imaginé d’avec un centaure qui vivrait et serait actuellement aperçu. Cette hypothèse, des plus simples, nous offre un exemple de vision possible d’un objet absent.

Préfère-t-on s’arrêter à un phénomène plus familier ? Je ferme les yeux en plein midi, et je pense à la lune. Mais, en y pensant, je la perçois et, puisque je la perçois, elle existe, à ce point que, tout objet extérieur fût-il supposé anéanti, je pourrais toujours continuer de l’imaginer, par conséquent de le voir. Que Dieu fortifie, comme tout à l’heure, mon impression et rende de plus en plus brillante la lune