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ch. richet. — du somnambulisme provoqué

Pour bien expliquer cette apparente contradiction, revenons à notre première hypothèse qu’il existe dans l’intelligence de l’homme une force supérieure qui est la spontanéité et la volonté. Quelle que soit cette spontanéité, — et bien des discussions métaphysiques ont porté sur la nature et la forme de cette force, — on peut très bien admettre qu’elle seule est supprimée, alors que les autres forces de l’intelligence persistent dans leur intégrité. Le lien qui existe entre la volonté et l’intelligence est brisé. Nulle attention, nul effort volontaire ne dirigent alors la mémoire et l’imagination.

De même que les mouvements de l’animal décapité ne peuvent plus s’accomplir que provoqués par une excitation extérieure, de même les opérations de l’intelligence d’un somnambule ne peuvent avoir lieu que suscitées par une excitation extérieure. À l’état normal, cette excitation est remplacée par la volonté. Mais chez le somnambule, il n’y a plus de volonté. L’intelligence est devenue automatique comme la marche ou le vol d’un pigeon décapité.

Ainsi je dis à un somnambule : « Voilà un serpent ! » aussitôt l’idée d’un serpent se présentera à son imagination sous une forme réelle. Il le verra se mouvoir, se précipiter sur lui, le mordre ; il aura de la frayeur, il poussera des cris, cherchera à fuir, etc. Certes toutes ces idées témoignent de la conservation de l’intelligence, mais cette intelligence n’est plus maîtresse d’elle-même. Si l’on me dit : « Voilà un serpent ! » je peux, en dirigeant l’association de mes idées dans tel sens qu’il me plaira, penser à un arbre, à un bateau, à une pomme, à un tableau, à un roman, à un soldat, à un laboratoire, à un fleuve. Il me semble que je suis le maître de cette association d’idées, et de fait tout se passe comme si j’en étais le maître, tandis que le somnambule n’a plus qu’une intelligence passive. On lui dit : « Voilà un serpent » ! et nécessairement il pensera au serpent et à toutes les idées qui s’y rattachent d’ordinaire. Il n’aura pas le pouvoir de prendre une autre idée dans la collection de ses souvenirs, et de modifier par cette idée nouvelle le cours des pensées provoquées par la vue imaginaire d’un serpent.

L’intelligence chez le somnambule n’est pas détruite : elle sommeille. Pour qu’elle se réveille, pour que les idées se mettent à vibrer, il ne faut qu’une seule excitation, qui déterminera le mouvement de tout l’appareil serpent. Mémoire, imagination, sensibilité, tout entre aussitôt en jeu, absolument comme chez un individu normal. L’unique différence, c’est qu’à l’état normal l’idée peut être dirigée, modifiée, augmentée, entravée par la volonté, tandis que chez le somnambule cette volonté n’existe plus. Tout l’appareil affectif et intellectuel du cerveau est mis en branle par l’exci-