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ch. richet. — du somnambulisme provoqué

que le moi automatique intoxiqué par les diverses substances. Chez les gens qui ont pris de l’alcool, du chanvre indien, de l’opium, il n’y a plus ce pouvoir dominateur que nous croyons exercer sur l’association de nos idées. De même, dans l’hystérie, il y a un affaiblissement notable de la volonté et de la raison. Il n’y a plus cet équilibre intellectuel, cet imperium sui, qui nous paraît, à l’état normal, exister et vivre en nous.

Revenons encore une fois à notre première hypothèse. Elle a été commode pour l’exposition ; mais maintenant elle n’est pas indispensable. Il n’est pas besoin de supposer une force spontanée dirigeant l’intelligence. Cette force n’est peut-être rien autre que le souvenir des excitations antérieures accumulées dans l’esprit. Chez tout individu sain, il y a, coexistant l’une à côté de l’autre, un grand nombre d’idées qui se balancent et se compensent mutuellement. Toutes ces idées étant simultanément présentes à la conscience, c’est de cette balance, de cet équilibre que résulte la spontanéité apparente de notre être. Or si l’on suppose, comme cela est extrêmement vraisemblable, que chez les somnambules il n’y a plus conscience d’idées simultanées, naturellement l’équilibre ne pourra plus s’établir, et l’idée unique, suscitée par l’excitation du dehors, ne sera plus compensée par des idées voisines. Elle triomphera sans partage et s’imposera fatalement à toute l’intelligence. Dans le somnambulisme, ce n’est donc pas la spontanéité cérébrale qui est anéantie, — car il est très douteux que cette spontanéité existe jamais — c’est la mémoire consciente des idées antérieures. Pour réveiller ces souvenirs, il faut une excitation extérieure ; tandis que, chez un individu sain, cette excitation extérieure n’est pas nécessaire, la conscience et la mémoire étant éveillées simultanément.

S’il fallait exprimer d’un mot l’état psychique des somnambules, je dirais que c’est le silence. Au lieu du bruissement d’idées qui se fait dans notre tête quand nous sommes bien éveillés, chez le somnambule il n’y a plus rien, ni conscience, ni mémoire. Il ne pense pas, il n’a pas d’idées, et il faut un bruit du dehors pour que son âme s’éveille de la torpeur où elle est plongée.

Par quel mécanisme se produit ce trouble intellectuel ? est-ce une paralysie ? est-ce une action inhibitoire ? Voilà ce que l’on ne peut dire encore. Nous savons seulement que c’est l’une ou l’autre de ces deux hypothèses qu’il faut admettre.