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chez eux et dans les autres endroits où il avait l’habitude de les rencontrer (comme dans les sociétés scientifiques), non ailleurs. Je le rencontrai un jour chez l’un de nos plus anciens amis qui réside ordinairement à Londres, mais qui était alors à Brighton. Il ne me reconnut pas, et il ne le fit pas davantage quand nous fûmes hors de la maison… Sa mémoire alla toujours en diminuant, et il mourut d’une attaque d’apoplexie. » (Ouvrage cité, p. 445.) — Dans cette observation, il y a à la fois amnésie des noms propres et amnésie des figures ; mais le plus curieux, c’est le rôle que joue la loi de contiguïté. La reconnaissance des personnes ne s’effectue pas d’elle-même, par le seul fait de leur présence. Pour qu’elle ait lieu, il faut qu’elle soit suggérée ou plutôt aidée par l’impression actuelle des endroits où elles sont présentées habituellement. Le souvenir de ces endroits, fixé par les expériences de toute la vie, devenue presque organique, reste stable. Il sert de point d’appui pour évoquer d’autres souvenirs. Le nom de ces « lieux publics » n’est pas ravivé : l’association entre l’objet et le signe est trop faible. Mais la reconnaissance des figures s’opère, parce qu’elle dépend d’une forme d’association très stable : la contiguïté dans l’espace. La seule catégorie de souvenirs qui ait survécu aide une autre catégorie à renaître qui, d’elle-même et réduite à ses seules forces, n’y parvient pas.

Une énumération plus longue des amnésies partielles serait facile, mais sans profit pour le lecteur. Il suffit de lui avoir fait comprendre par quelques faits en quoi elles consistent.

Il est naturel de se demander si les formes de la mémoire que la maladie désorganise pour toujours ou suspend temporairement sont les mieux établies ou bien au contraire les plus faibles. — On ne peut répondre à cette question d’une manière positive. À ne consulter que la logique, il semble que les influences morbides doivent suivre la ligne de la moindre résistance. Les faits paraissent confirmer cette hypothèse. Dans la plupart des amnésies partielles, ce qui est atteint, ce sont les formes les moins stables de la mémoire. Je ne connais du moins pas un seul cas où, quelque forme organique ayant été suspendue ou abolie, les formes supérieures soient restées intactes. Il serait cependant téméraire d’affirmer que cela ne s’est jamais produit.

À la question posée, nous ne pouvons donc répondre que par une hypothèse, jusqu’à plus ample informé. Il serait d’ailleurs contraire à la méthode scientifique de ramener d’emblée à une loi unique des cas hétérogènes, dépendant chacun de conditions spéciales. Il faudrait une étude approfondie de chaque cas et de ses causes, avant de pouvoir affirmer que tous sont réductibles à une formule unique.