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th. ribot. — les désordres partiels de la mémoire.

du temps, parce que la nutrition ne fait pas son œuvre en un instant, parce que le mouvement moléculaire incessant qui la constitue doit suivre une direction constante, que la même impression périodiquement renouvelée est propre à maintenir[1].

La fatigue, sous toutes ses formes, est fatale à la mémoire. Les impressions reçues ne sont pas fixées ; la reproduction est très pénible, souvent impossible. Or la fatigue est considérée comme un état où, par suite de la suractivité d’un organe, la nutrition souffre et languit. Avec le retour aux conditions normales, la mémoire revient. La relation de Holland citée plus haut est assez explicite sur ce point.

Nous avons vu aussi que, dans les cas d’amnésie temporaire dus à une commotion cérébrale, l’oubli a toujours un caractère rétroactif ; il s’étend sur une période plus ou moins longue, antérieure à l’accident ; c’est une règle qui n’a guère d’exceptions. La plupart des physiologistes qui se sont occupés de ce fait l’expliquent par un défaut de nutrition. L’enregistrement organique qui consiste eu une modification nutritive de la substance cérébrale n’a pas eu le temps de se produire.

Enfin, rappelons que la forme la plus grave des maladies de la mémoire, l’amnésie progressive des déments, des vieillards, des paralytiques généraux, a pour cause une atrophie toujours croissante des éléments nerveux. Les tubes et les cellules subissent une dégénérescence ; les dernières surtout finissent par disparaître, ne laissant à leur place que des amas méconnaissables.

L’ensemble de ces faits, physiologiques et pathologiques, montre entre la nutrition et la conservation un rapport de cause à effet. Il y a une exacte coïncidence entre leurs périodes d’apogée et de déclin. Les variations à courte ou longue durée de l’une se retrouvent dans l’autre. Que l’une soit ou active, ou modérée, ou languissante, il en est de même de l’autre. La conservation du souvenir doit donc être comprise, non au sens métaphysique « d’états de l’âme » qui subsisteraient on ne sait où, mais comme un état acquis de l’organe cé-

  1. « J’ai connu, dit Abercrombie, un acteur distingué qui, appelé à remplacer un de ses confrères malades, dut apprendre en peu d’heures un rôle long et difficile. Il l’apprit très vite et le joua avec une parfaite exactitude. Mais, immédiatement après la pièce, il l’oubliait, à tel point que, ayant eu à jouer le rôle plusieurs jours de suite, il était obligé chaque fois de le préparer à nouveau, n’ayant pas, disait-il, le temps de a l’étudier ». Interrogé sur le procédé mental par lui suivi, quand il joua son rôle pour la première fois, il me répondit qu’il avait complètement perdu de vue le public, qu’il lui semblait n’avoir devant les yeux que les pages de son livre, et que, si quoi que ce soit avait interrompu cette illusion, il se serait arrêté instantanément. » (Ouvrage cité, p. 103.)