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tique et qui, pris à forte dose, produit un ralentissement de la circulation. Un prédicateur fut obligé d’en interrompre l’usage : il avait presque perdu la mémoire : elle revint dès qu’il cessa le traitement.

De tous ces faits ressort une conclusion générale : l’exercice normal de la mémoire suppose une circulation active et un sang riche en matériaux nécessaires pour l’intégration et la désintégration. Dès que cette activité s’exagère, il y a tendance vers l’excitation morbide ; dès qu’elle s’abaisse, il y a tendance vers l’amnésie. Il est impossible de préciser davantage sans entrer dans l’hypothèse pure. Pourquoi, de préférence à toute autre, telle catégorie de souvenirs est-elle ravivée ou abolie ? Nous n’en savons rien. Il y a tant d’imprévu dans chaque cas particulier d’amnésie et d’hypermnésie qu’il serait chimérique d’essayer une explication. Il est probable que ce sont des modifications organiques très fugitives, des causes infinitésimales qui font que, seule entre toutes, telle série est évoquée ou reste sourde à l’appel. Qu’un seul élément nerveux se mette en branle ou reste paralysé, cela suffit : le mécanisme bien connu de l’association explique le reste. Quelques physiologistes ont émis l’opinion que les lapsus limités et temporaires de la mémoire sont dus à des modifications locales et transitoires dans le calibre des artères, sous l’influence des vaso-moteurs. Ils en ont donné pour raison que le retour est brusque, qu’il est causé, donné d’ordinaire par une émotion, et que les émotions exercent une influence particulière sur le système nerveux vaso-moteur.

Dans ces cas de perte complète de la mémoire dont nous avons donné plusieurs exemples, le retour dépend de la circulation et de la nutrition. Est-il brusque (ce qui est rare), l’hypothèse la plus probable est celle d’un arrêt de fonction, d’un état « d’inhibition » qui cesse tout d’un coup : ce problème est l’un des plus obscurs de la physiologie nerveuse. S’il résulte d’une rééducation (ce qui est l’ordinaire), le rôle capital paraît dévolu à la nutrition. La rapidité avec laquelle on rapprend montre que tout n’était pas perdu. Les cellules ont pu être atrophiées ; mais, si leurs noyaux (considérés en général comme leurs organes reproducteurs) donnent naissance à d’autres cellules, les bases de la mémoire sont par là même rétablies : les cellules-filles ressemblent aux cellules-mères, en vertu de cette tendance de tout organisme à maintenir son type, et de toute modification acquise à devenir une modification transmise : la mémoire n’est dans ce cas qu’une forme de l’hérédité[1].

Th. Ribot.

  1. Pour plus de détails sur ce point voir la revue, Brain, octobre 1879.