Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/547

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
535
analyses. — ollé-laprune. De la certitude morale.

Mais, si ces quatre vérités sont objet de science, M. Ollé-Laprune ne fait pas difficulté de reconnaître que la science que nous en avons est bien incomplète. Il s’en faut que nous voyions la justice satisfaite ici-bas, comme l’exige la loi morale ; nous faisons crédit en quelque sorte à la justice divine, et la foi dépasse de beaucoup ce que la raison démontre. De même, personne n’a jamais soutenu que nous ayons de Dieu une connaissance adéquate ; il nous est surtout connu par ses œuvres, qui sont comme un langage qu’il nous adresse, comme un témoignage qu’il nous rend de lui-même ; il faut donc passer, par un acte de foi, du signe à la chose signifiée. Il suffit de songer aux nombreuses discussions qu’a soulevées le problème du libre arbitre, pour s’assurer que l’évidence seule n’entraîne pas l’adhésion. La loi morale elle-même, sinon comme objet de connaissance, du moins comme règle de conduite, exige un consentement, une bonne volonté que la lumière intellectuelle à elle seule ne saurait provoquer.

La conclusion de M. Ollé-Laprune, l’idée maîtresse qu’il a voulu mettre en lumière, c’est que les vérités morales sont à la fois objet de science et de croyance. Unir en les distinguant ces deux éléments, faire à chacun sa part légitime sans que l’un empiète sur l’autre, voilà la tâche, délicate entre toutes, qu’il s’est donnée. À vrai dire, il n’est guère à craindre que l’élément scientifique soit déclaré prépondérant. En revanche, il arrive souvent qu’on fasse trop grande la part de la foi ou de la volonté. En philosophie comme en religion, il ne manque pas de gens qui opposent la foi à la raison, soit pour la mettre au-dessus de la raison, soit pour la mettre au-dessous. M. Ollé-Laprune tient énergiquement pour l’accord de la raison avec la foi, et cet accord il veut le réaliser en mettant la foi et la raison sur le même rang, en leur faisant part égale. Comme Bossuet et les philosophes du xviie siècle, il tient la raison en grande estime ; il croit que c’est folie de dédaigner son concours ; il proclame bien haut qu’elle est nécessaire, quoiqu’elle ne suffise pas ; il professe une sorte de gallicanisme moral. Les fanatiques, les enthousiastes de la foi morale qui viennent lui proposer de la séparer de la science pour l’élever dans une sphère supérieure où elle régnera sans partage et sans conteste sont à ses yeux de dangereux ennemis de la vérité, et il les combat de toutes ses forces ; il leur dit qu’ils compromettent la vérité par un excès de zèle, il repousse leurs funestes présents. Par contre, il se retourne vers les partisans exclusifs de la science, les positivistes, et prétend leur prouver que les vérités morales présentent les caractères essentiels delà science ; on les démontre, au sens rigoureux du mot, quoiqu’on ne les démontre pas complètement. Bien plus, elles sont si évidentes]qu’on ne peut s’en passer ; elles s’imposent à tous, et ceux qui les nient, comme Herbert Spencer, Stuart Mill, finissent toujours par les introduire subrepticement dans leurs théories, au prix d’une contradiction. Ni trop, ni trop peu, voilà la devise de M. Ollé-Laprune. Les vérités morales ne sont pas plus certaines que celles de la science, mais elles sont ausi certaines : voila sa thèse.