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Le livre de M. Ollé-Laprune est en opposition directe avec une des vues essentielles que Kant a essayé de faire prévaloir. Ce grand esprit s’était surtout attaché à tracer les limites que la raison et la science ne doivent pas franchir, laissant libre au delà l’espace où la foi s’étendra tant qu’elle voudra. À la suite de Kant, beaucoup de bons esprits ont cru que le moyen de mettre fin à tant de dissensions stériles était de séparer deux rivales d’humeur incompatible, et de les enfermer dans deux domaines distincts où elles pussent se mouvoir sans se heurter. M. Ollé-Laprune révise ce procès, qu’on pouvait croire jugé, et il le casse. Il veut faire disparaître le divorce entre la foi et la science, et revenir à l’unité primitive, telle qu’on la concevait avant Kant. Deux propositions nous paraissent résumer sa thèse : 1o  là où il y a croyance, dans l’ordre des vérités morales, il y a aussi démonstration, preuve, au sens rationnel du mot ; 2o  ce qui s’ajoute à la démonstration et la complète, diffère sans doute de la science proprement dite, mais n’en diffère pas au point de constituer un état d’esprit foncièrement autre. La foi, comme la science, quoique par un autre chemin, conduit à la vérité, à la certitude. La certitude n’est pas toujours la foi ; mais la foi peut être certitude. La certitude morale et la certitude scientifique diffèrent comme deux espèces d’un genre, mais sont de même valeur. Nous examinerons d’abord la seconde de ces propositions.

Pour éviter tout malentendu, il ne sera pas inutile de déclarer tout d’abord que ce n’est pas contre les vérités dont M. Ollé-Laprune s’est constitué le défenseur que portent nos arguments, mais uniquement sur la manière dont il prétend les démontrer. Les croyances morales sont à notre sens fort légitimes ; nous pensons seulement qu’elles n’ont pas le caractère scientifique, objectif, qu’on veut leur attribuer ; que c’est mal servir leur cause que de chercher à les réintégrer de force dans un domaine qui ne leur appartient pas. Nous croyons, en un mot, que Kant a raison, et que M. Ollé-Laprune n’est pas sorti victorieux de la lutte qu’il a engagée contre lui.

Entre la science et la croyance, Kant avait fait une distinction très nette. La science s’étend aussi loin, et pas plus loin, que l’expérience ; tout ce qui n’est pas nécessaire a priori (et le nécessaire se connaît lui-même dans l’expérience) ou vérifiable en fait a posteriori n’a pas droit au nom de connaissance. D’autre part, ce qui n’est ni nécessaire, ni vérifiable en fait, peut être vrai : voilà l’objet de la croyance, qui peut être légitime, pourvu qu’elle ne soit pas en contradiction avec des vérités démontrées.

Suivant M. Ollé-Laprune, est objet de science soit ce qui est directement connu par expérience (mais une expérience bien différente de celle de Kant, car elle atteint les choses en soi), soit ce qui est aperçu indirectement au moyen d’une relation naturelle avec une chose donnée. Quant à la croyance, elle a pour objet ce qui est uni à une chose donnée par une relation non plus naturelle, mais extérieure à lu chose même ; cette relation est un témoignage, mot qu’il faut, dit