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analyses. — ollé-laprune. De la certitude morale.

l’auteur, prendre en un sens large, il nous permettra d’ajouter : un peu vague. La croyance ainsi obtenue diffère de la science par cet autre caractère qu’elle suppose un consentement, acte libre, tandis que la science se contente d’un simple assentiment, acte indélibéré. Mais « ce n’est pas la suffisance ou la valeur, c’est la nature de la relation qui est le principe de la différence entre le savoir et la foi. » Voilà une assertion qui demande à être justifiée. Voici comment M. Ollé-Laprune la justifie. De l’aveu de tous, les vérités historiques sont certaines ; or comment les connaissons-nous ? Par le témoignage d’autrui, c’est-à-dire par un acte de croyance. Il est vrai que Kant, afin de comprendre ces vérités dans la définition qu’il donne de la science, les a considérées comme reposant, en dernière analyse, sur un fait d’expérience, puisque celui qui les rapporte en a été témoin. Le témoignage et la croyance ne servent qu’à étendre, sans le supprimer, le champ de l’expérience. M. Ollé-Laprune soutient que Kant a tort. Il y a sans doute, dit-il, à l’origine du témoignage une chose de fait, mais qu’importe ? Moi qui n’ai pas vu cette chose, je ne l’affirme que parce que vous l’attestez. La certitude attribuée à ces vérités repose uniquement sur le témoignage, sur la croyance : l’expérience n’y est pour rien. Ainsi encore, nous ne connaissons que par la croyance la pensée de l’artiste qui a créé un chef-d’œuvre ; nous ne connaissons pas autrement l’existence de nos semblables, et qui contestera qu’elle soit certaine ?

L’objection que M. Ollé-Laprune oppose à Kant nous semble faible. Comment soutenir sérieusement, quand un témoin nous rapporte un fait, que la chose de fait ne soit pas la condition essentielle de notre confiance ? Ce n’est pas seulement, comme le dit M. Ollé-Laprune, parce qu’il l’atteste, c’est parce qu’il l’a vu, que nous y croyons ; et il ne suffirait pas qu’il l’attestât, si nous ne pensions qu’il en a été réellement témoin. Ce n’est pas parce qu’il affirme, c’est parce qu’il affirme avoir vu que nous le croyons. C’est notre propre expérience que nous consultons dans celle du témoin ; il est notre remplaçant, notre substitut, et le témoignage ne sert qu’à étendre, à prolonger dans le passé la sphère de notre expérience personnelle. La preuve c’est que si le témoin nous rapporte des choses contraires à l’expérience ordinaire, nous entrons aussitôt en défiance. S’il nous rapporte des choses qui ne puissent être objet d’expérience directe, une apparition par exemple ou une révélation, nous pouvons bien encore avoir confiance en lui, le croire ; mais dira-t-on que l’adhésion que nous lui donnons alors est d’ordre scientifique ? L’expérience manquant, on ne sait plus. Quoi qu’on fasse, l’expérience, réelle ou supposée, est le fond, le nervus probandi, la condition sine qua non, de la preuve. — De même l’interprétation d’une œuvre d’art a-t-elle un caractère de certitude scientifique ? et est-ce sérieusement qu’on place ces interprétations, où le sentiment a tant de part, sur le même rang que la science ? Quant à la connaissance que nous avons de nos semblables, elle a tout juste la