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roi était soumise à une étiquette minutieuse qui réglait heure par heure ses occupations et ses cérémonies, en sorte que, tout-puissant de nom, il se trouvait en réalité moins libre qu’un sujet. Il en a été et il en est de même des autres despotes. Jusqu’à ces dernières années, au Japon, où la forme de l’organisation était devenue fixe et où, depuis le haut jusqu’au bas, les actions de la vie étaient réglées dans le détail, l’autorité pesait si lourdement sur celui qui l’exerçait que l’abdication volontaire était chose fréquente. « La coutume de l’abdication, dit Adams, est commune dans toutes les classes, depuis l’empereur jusqu’à son plus intime sujet, » Les Etats de l’Europe ont fourni des exemples de cette tyrannie en retour, « . Dans le palais de Byzance, dit Gibbon, l’empereur était le premier esclave des cérémonies qu’il imposait. » Au cours de ses réflexions sur l’ennuyeuse vie de la cour de Louis le Grand, Mme de Maintenon fait la remarque qu’ « elle ne sait personne de plus malheureux que ceux qui occupent les rangs élevés, si ce n’est ceux qui leur portent envie. Si vous pouviez, ajoute-t-elle, vous faire une idée de ce que c’est ! »

De sorte que la satisfaction des besoins personnels des hommes gagne au maintien de l’ordre et à la formation d’agrégats assez grands pour comporter une division compliquée du travail ; mais qu’en revanche, elle rencontre un obstacle dans les réductions, souvent très grandes, qui diminuent les produits de leurs actions et par suite dans les restrictions imposées d’ordinaire plus qu’il n’est nécessaire à ces actions. Enfin l’autorité politique inflige indirectement des maux à ceux qui l’exercent aussi bien qu’à ceux qui la subissent.

Les pierres qui composent une maison ne sauraient servir à un autre usage tant que la maison n’est pas démolie. Quand les pierres sont unies par du mortier, il est encore plus difficile de détruire leur arrangement actuel, pour les combiner ensuite sur un nouveau plan. Enfin, si le mortier a eu des siècles pour se consolider, la difficulté de rompre la masse qu’il forme avec les pierres est si grande qu’il est plus économique de bâtir avec de nouveaux matériaux que de rebâtir avec les anciens.

Je dis cela pour montrer que tout genre d’arrangement est un obstacle au réarrangement ; et que cela doit être vrai de l’organisation, qui est un genre d’arrangement. Lorsque, durant l’évolution d’un corps vivant, la substance qui le compose, d’abord relativement homogène, s’est transformée en une combinaison de parties hétérogènes, un obstacle s’est formé, toujours grand et quelquefois insurmontable, qui s’oppose à tout changement de structure : plus la structure est compliquée et définie, plus est grande la résistance