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l’aphasique parait parler un véritable langage. Une malade de M. Jackson répondit un jour à son fils qui lui demandait où étaient ses outils : « master’s » (chez le patron). Bien qu’il n’ait répondu qu’un mot, ce mot avait la valeur d’une proposition. Cependant il s’agissait là d’un ouvrier dont toute la fortune était dans ses outils, et il est possible que sa réponse ait eu un caractère émotionnel.

En résumé, l’aphasique n’a conservé, à part de rares exceptions, que les formes inférieures de langage (langage émotionnel) ouïes formes les mieux organisées du langage ( « oui » ou non » ). « Mais comment se fait-il que certains aphasiques puissent retenir des expressions, sans valeur pour eux en tant que proposition et d’un caractère spécial pour les individus sains, s’appliquant à une combinaison particulière de circonstances, tandis que d’autres aphasiques retiennent des expressions sans valeur pour eux en tant que proposition, mais d’un caractère très général pour les individus sains et s’appliquant à toute combinaison de circonstances. »

Y a-t-il donc là une exception à la loi de dissolution qui veut que dans les affections du langage il y ait une réduction aux processus les plus automatiques, les mieux organisés, les plus anciennement acquis. D’après M. Jackson, il faut tenir compte des conditions accessoires, secondaires qui viennent troubler le cours régulier de la dissolution. Et l’une de ces conditions importantes, c’est l’état du patient au moment où il devient malade. M. H. Jackson suppose par exemple que les expressions qui reviennent continuellement, telles que « venez à moi », venaient d’être dites ou étaient sur le point de l’être au moment où l’individu était devenu malade.

Ainsi un homme âgé de vingt et un ans dit subitement à sa mère : « Oh ! je sens quelque chose d’extraordinaire en moi. » Ce furent ses derniers mots, mais il répétait constamment « non » et « maman. »

L’individu qui disait toujours « venez à moi » ou simplement « venez » était un employé de chemin de fer qui était tombé sur les rails.

Un commis qui était devenu aphasique et hémiplégique après avoir travaillé longtemps à dresser un catalogue ne disait plus que « liste complète ».

Une malade de Guy’s Hospital pouvait dire seulement « gee, gee » (dia ! dia !), et la maladie l’avait prise pendant qu’elle était montée sur un âne.

Pour expliquer la conservation de ces expressions, on doit admettre que chez l’individu sain il reste après chaque nouvelle expression pendant peu de temps un léger degré d’organisation des modifications nerveuses qui se sont produites. S’il n’en était pas ainsi, nous ne pourrions savoir ce que nous venons de dire et nous ne pourrions traiter une question déterminée ; et l’on doit admettre que chez l’aphasique cette organisation, au lieu d’être passagère, devient permanente.

Mais pourquoi devient-elle permanente ? et pourquoi se traduit-elle à tout propos par les expressions auxquelles elles correspond ?