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organisé et hiérarchisé, plus la discipline morale et sociale qu’il impose à ses membres est étroite et énergique.

Quels sont les caractères principaux de l’esprit de corps ?

Un « corps » est un groupe professionnel défini qui a ses intérêts propres, son vouloir-vivre propre et qui cherche à se défendre contre toutes les causes extérieures ou intérieures de destruction ou de diminution.

Si nous nous demandons maintenant quels sont les biens pour lesquels lutte un corps, nous voyons que ce sont des avantages moraux : le bon renom du corps, l’influence, la considération, le crédit. Ces avantages moraux ne sont sans doute que des moyens en vue d’assurer la prospérité matérielle du corps et de ses membres ; mais le corps les traite comme des fins en soi et il déploie, à les conquérir et à les défendre, une énergie, une âpreté, une combativité dont les passions individuelles ne peuvent donner qu’une faible idée.

Ces avantages moraux, un corps les poursuit en s’efforçant de suggérer à ceux qui ne font pas partie du corps, une haute idée de son utilité et de sa supériorité sociales. Il ne craint pas d’exagérer au besoin cette valeur et cette importance et comme il n’ignore pas la puissance de l’imagination sur la crédulité des hommes, il s’enveloppe volontiers du décorum le plus propre à accroître sa respectabilité dans l’esprit de la foule. M. Max Nordau, dans son beau livre : Les mensonges conventionnels de notre civilisation, a étudié les mensonges que les divers groupes sociaux organisés entretiennent sciemment et volontairement et qu’ils semblent considérer comme une de leurs conditions d’existence (mensonge religieux, mensonge aristocratique, politique, économique, etc.[1]). À ces mensonges M. Max Nordau aurait pu ajouter les mensonges corporatifs qui ne sont souvent qu’une combinaison et une synthèse des autres. C’est dans cette grande loi générale d’Insincérité sociale qu’il faut faire rentrer la tactique spéciale au moyen de laquelle un corps dissimule ses défauts, ses faiblesses, ou ses fautes et s’efforce de rester, aux yeux du vulgaire, dans une attitude de supériorité incontestée, d’infaillibilité et d’impeccabilité hautement reconnues.

Pour garder cette attitude, le corps exige avant tout de ses membres d’avoir « de la tenue ». Il veut que les siens soient irréprochables extérieurement et qu’ils jouent décemment leur rôle sur le théâtre social.

La concurrence est la grande loi qui domine l’évolution des

  1. V. Max Nordau, Les mensonges conventionnels. Introduction et passim.