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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/106

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La phénoménologie détermine les conditions auxquelles doit être soumis tout objet qui peut être connu comme étant en mouvement. Ici encore, trois lois correspondent aux trois moments de la catégorie de modalité.

La méthode de Kant dans cette métaphysique de la nature est, on le voit, une méthode de combinaison ou de synthèse. Il va du moins concret au plus concret. Ce qu’il place au début, ce n’est pas un absolu ni une abstraction : c’est l’espace relatif et le mouvement relatif. Viennent ensuite la matière, puis la force, puis la communication du mouvement, enfin la connaissance. Les relations s’ajoutent aux relations : par ces combinaisons successives, on voit le monde se former peu à peu avec les matériaux fournis par la pensée : il s’organise progressivement, et l’intelligence elle-même s’organise par une évolution parallèle ou plutôt identique.

Tout autre est la méthode de M. Spencer. Il procède non par combinaison, mais par abstraction. En apparence, il parcourt les mêmes degrés, car il commence par le temps et l’espace, pour aboutir à la force, « the ultimate of ultimates. » A y regarder de près cependant, sa méthode est toute différente de la précédente. Il commence en effet par admettre l’existence objective du monde, tel que le sens commun et la science le connaissent ; il croit au temps réel, à l’espace réel, à la force en soi. Le monde ainsi donné, et au préalable supposé intelligible, il s’agit pour lui d’expliquer comment il est représenté dans la pensée. Le problème n’est plus de savoir quels sont les rapports du monde réel avec l’intelligence humaine, mais comment l’homme individuel à l’aide de la sensation prend connaissance du monde réel. Pour cela, à l’aide d’une série d’abstractions, M. Spencer montre comment chacun des éléments qu’il a supposés réels dans le monde objectif fait son apparition dans l’intelligence humaine.

Mais ce monde qu’il suppose réel et donné, il ne prend pas garde qu’il est lui-même l’œuvre de la pensée. S’il nous était donné tout fait et d’un seul bloc, sans que notre intelligence y eût mis sa marque, il n’y aurait rien à dire contre la méthode. Le monde tel que vous l’envisagez au début de votre système, pourrait-on dire à M. Spencer, que ce soit le monde du sens commun ou celui de la science, a été péniblement construit par la pensée humaine, suivant ses lois propres, appliquant les catégories, se mettant tout entière dans son œuvre. Il est tout imprégné de pensée. C’est en comprenant le monde, en le faisant intelligible, que la pensée a pris conscience d’elle-même, et c’est parce qu’elle prenait conscience d’elle-même que le monde est devenu intelligible. Vous venez dire après cela, considérant ce monde ainsi formé, que vous y trouvez la pensée ! Je le crois bien ! Vous avez commencé par l’y mettre ! Mais, avant de vous laisser aller, la philosophie critique vous arrête. C’est ce monde réel, sur lequel il faut d’abord savoir à quoi s’en tenir. Il ne s’agit pas d’esquiver la difficulté et de se dérober à un examen embarrassant ; il faut s’expliquer. Si vous refusez, votre système