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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/107

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ANALYSES. — WATSON. Kant and English critics.

n’est plus qu’une construction dérisoire. Les logiciens, gens sévères, appellent cela le sophisme ζστερον πρότερον.

Dira-t-on que M. Spencer n’a fait que s’en rapporter au sens commun, pour lequel la réalité objective du monde ne fait pas doute, mieux encore, qu’il se borne à appliquer la méthode de toutes les sciences, où l’on se sert, sans se soucier de les approfondir et de remonter à leur origine, des notions de temps, d’espace, de matière et de force ? et n’est-il pas permis de revendiquer pour la philosophie un droit qui n’est contesté à aucune science ? — Il y a ici, il faut en convenir, quelque chose de spécieux, et c’est ce qui séduit une foule de lecteurs inattentifs. Pourtant M. Watson n’a pas de peine à faire justice de l’objection. Il est très vrai que l’homme du sens commun et même l’homme de science ne se posent pas la question de savoir si le monde qu’ils voient n’est pas un simple monde d’apparences ; ni l’un ni l’autre ne sont idéalistes, et ils ne comprendront pas votre question quand vous leur demanderez si le monde existe hors de l’esprit. Mais remarquez qu’ils ne doutent pas non plus de l’identité du monde et de la connaissance qu’ils en ont. Ils ne font aucune distinction entre leurs idées et les choses ; ils ne sont donc pas non plus réalistes ; l’empiriste et l’idéaliste peuvent également invoquer leur témoignage. La vérité est qu’il est absurde d’invoquer ce témoignage ; la distinction de la pensée et des choses ne relève ni du sens commun ni de la science. Ils ne posent pas cette question et ne sont pas compétents pour la résoudre. C’est un problème purement philosophique : c’est un des problèmes essentiels de la philosophie. S’y dérober, quand on se dit philosophe, se retrancher, pour esquiver la difficulté, derrière le sens commun et la science, c’est en réalité renoncer à la philosophie, c’est abdiquer.

Examinons pourtant cette prétendue genèse de la pensée. À l’origine, nous avons des sensations qui se succèdent. « La relation de séquence, dit M. Spencer, est donnée dans chaque modification de la conscience. » Comparant les diverses relations de séquence par le procédé bien connu de la généralisation et de l’abstraction, nous formons l’idée du temps. L’idée d’espace dérive de la précédente : car lorsque des sensations successives nous sont données dans un ordre tel que nous pouvons le renverser, et le prendre indifféremment dans un sens ou dans l’autre elles nous apparaissent comme coexistantes. De la comparaison des relations de coexistence naît, comme précédemment, la notion d’espace. Voilà, en ce qu’elle a d’essentiel, la théorie de M. Spencer.

De deux choses l’une. Ou bien les sensations nous sont données comme simplement successives, et alors on n’a pas le droit de considérer l’ordre suivant lequel elles se produisent comme nécessaire et irréversible ; cet ordre n’est qu’un fait contingent et accidentel. Ou bien on considère cet ordre comme nécessaire et invariable ; on y voit l’expression dans la conscience de l’ordre réel et objectif auquel est soumise la réalité. Mais alors on n’a pas le droit de dire qu’on prend pour point de départ de simples sensations ; on y introduit sans s’en