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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/108

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apercevoir peut-être, du moins sans le dire, arbitrairement en tout cas, un élément nouveau, la nécessité ou la causalité. On ne tient pas sa promesse, on fait un cercle vicieux. C’est ce qui arrive à M. Spencer. Il prend évidemment parti pour la seconde alternative, car c’est seulement parce qu’il est nécessaire et irréversible que l’ordre de séquence des sensations se distingue de l’ordre de coexistence.

Quant à la prétendue généralisation par laquelle nous formons les concepts de temps et d’espace, il est trop clair qu’elle n’explique rien. La question n’est pas de savoir comment nous formons la notion de temps quand nous connaissons des choses successives ; mais, au moment où nous nous les représentons comme telles, quelque chose s’ajoute à la sensation, qui est sans doute donné en même temps qu’elle, mais qui en diffère logiquement et qu’une analyse scrupuleuse doit distinguer. Un fait de conscience est évidemment autre chose que le lien aperçu entre plusieurs faits de conscience.

« Notre conception de la matière, dit ensuite M. Spencer, réduite à sa forme la plus simple, est celle d’une coexistence de positions qui offrent de la résistance. » Mais comment expliquer le passage des simples états de conscience individuels, et isolés par hypothèse, à l’idée de positions coexistantes qui offrent de la résistance ? Une impression de résistance n’est pas une simple sensation : c’est la conception d’un objet qui résiste, et cela suppose la construction du monde réel par le travail de la pensée. Ici encore, on confond la sensation simple avec le travail d’élaboration que la pensée accomplit d’après ses lois propres, à l’occasion de cette sensation.

Même méthode et même défaut dans l’explication du mouvement. « Les mouvements des différentes parties de notre organisme sont d’abord représentés dans la conscience. » Mais, au point ou l’on suppose que nous sommes, comment connaissons-nous notre organisme ? Comment en distinguons-nous les différentes parties ? — On dit ensuite que « ces mouvements supposent des réactions de la part de la conscience ». Mais comment des réactions peuvent-elles être connues comme telles par la conscience si l’on commence par ne supposer dans la conscience que de pures sensations ? Il y a au fond de tout cela un perpétuel jeu de mots. La sensation dont il s’agit ici est appelée musculaire, et ce mot ne devrait signifier, pour une pensée qui est en voie de formation, qu’une simple différence qualitative. Mais comme ce mot, pour notre pensée toute formée, désigne un rapport déterminé et fort complexe avec un organisme supposé connu, on prête, sans y prendre garde, à la pensée primitive ce qui n’appartient qu’à la pensée adulte ; et dès lors on n’a plus de peine à expliquer la pensée adulte par la pensée primitive.

On voit par tout cela que « l’expérience de la force ne précède pas, comme M. Spencer voudrait nous le persuader, l’expérience du mouvement, mais au contraire la présuppose… La force, sans aucun doute, suppose le mouvement, comme le mouvement suppose la matière, la matière le temps, et le temps l’espace ; mais ces formes les plus