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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/124

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le jour, quand nous étions maîtres de nous-mêmes, voilà l’unique matière dont le rêve se compose. Toute son originalité est dans les combinaisons diverses des images détachées de la veille, mais non dans les pièces et morceaux de tous ces édifices imaginaires, de toutes ces scènes féeriques qui croulent et changent plus vite que des châteaux de cartes ou des décors à vue.

Ce n’est pas seulement par toutes ces traces renouvelées, anciennes ou récentes, par toutes ces images du passé, mais d’une manière plus directe encore, par des perceptions ou sensations en acte, que le rêve tient à la veille. La réalité présente, plus ou moins, il est vrai, altérée et défigurée, prend place aussi pour une part entre les illusions du rêve et y joue un rôle important, soit qu’elle lui serve de premier anneau et de point de départ, soit que, par son intervention, elle en charge brusquement le cours, le ton général, la tendance et la couleur.

Il y a même quelques courts instants, curieux à observer, dans la transition de la veille au sommeil, comme aussi du sommeil au réveil, où ces deux éléments, la réalité et l’illusion, sont aux prises l’un avec l’autre et luttent à qui l’emportera jusqu’au triomphe complet du rêve ou de la veille. Nous renvoyons à l’excellente analyse qu’en a faite Jouffroy dans son étude sur le sommeil. C’est alors qu’on peut saisir en soi, et de la manière la moins métaphorique, un véritable homo duplex, c’est-à-dire, d’un côté, l’homme qui n’a pas encore cessé de veiller et, de l’autre, celui qui commence à s’endormir et à rêver. En présence de notre moi qui s’évanouit, commence à se dresser un autre moi, pour ainsi dire, extérieur au premier et prêt à l’absorber tout entier. Ce sont comme les deux moi de Sosie dans l’Amphitryon, comme deux sortes de conscience aux contours nuageux, entre lesquelles, aux abords du sommeil, l’esprit allant de l’une à l’autre, flotte quelque temps indécis.

La scène intérieure est à la fois occupée par deux séries opposées d’idées, d’impressions et d’images, les unes encore dépendantes de la raison, les autres déjà émancipées et battant, pour ainsi dire, la campagne. La lutte d’ordinaire n’est pas longue ; la raison et la volonté vaincues cèdent la place aux illusions et aux chimères des songes, sauf à prendre leur revanche au moment du réveil.

Cependant tout dans le rêve lui-même n’est pas rêve ; un certain nombre de perceptions et de sensations, plus ou moins obtuses qui se mêlent, comme nous l’avons dit, à la trame de rêve et s’incorporent avec lui. Comment en effet leur cours serait-il suspendu, à moins que le sommeil, qui ressemble beaucoup moins à la mort que l’ont dit quelques poètes et quelques moralistes, ne rendit le