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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/125

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BOUILLIER. — responsabilité morale dans le rêve

corps tout à fait insensible et n’interceptât toute communication avec le monde extérieur ? Que d’observations de toutes les nuits justifient ce qu’a dit Leibnitz : « Même en dormant, l’âme a un sentiment confus de ce qui se passe au dehors[1]. » Les sens sont plus ou moins affaiblis, engourdis ; ils ne sont pas absolument fermés. Une vive lumière impressionne les yeux, malgré les paupières closes ; la peau nous informe de la température et de la nature des corps avec lesquels nous sommes en contact ; nos oreilles ne sont point fermées à tout bruit, sans néanmoins que le sommeil soit interrompu ; le goût et surtout l’odorat ne sont pas eux-mêmes insensibles et entrent aussi pour quelque chose dans le cours et les incidents du rêve.

Si les communications avec le dehors ne sont pas entièrement interrompues, à plus forte raison avec notre propre corps. Non seulement les sens internes ne sont pas fermés, mais ils sont même plus ouverts que pendant la veille. Certaines fonctions organiques, au dire des physiologistes, deviennent en effet plus vives pendant le sommeil. De là une quantité de perceptions organiques et vitales, de petites sensations agréables ou désagréables, dont le cours est continu et qui influent sur la nature et la tendance de nos rêves.

Les exemples de l’action de toutes ces impressions, de tous ces excitants du dehors ou du dedans ne manquent pas chez les psychologues, comme Dugald Stewart, Lemoine, M. Maury et en dernier lieu James Sully[2], qui ont fait des études sur le sommeil. On me permettra cependant d’ajouter un fait curieux de ce genre que je crois n’avoir vu citer nulle part, et qui met d’une manière piquante cette influence en lumière. Je m’imagine n’être pas le seul auquel il soit arrivé de rêver que, tout à coup, sans savoir comment, à peine vêtu, dans le costume le plus léger, il se trouvait transporté sur une place publique, dans un salon élégant, dans un bal, au milieu de quelque auguste assemblée. Quelle n’est pas la confusion, la honte du rêveur quand il se voit exposé aux yeux de tous dans ce simple appareil et qu’il se sent coupable de ce manquement cynique aux plus élémentaires lois de la décence ! Volontiers il crierait aux collines et aux montagnes de tomber sur lui pour le dérober à tous les regards ; vainement fait-il effort pour s’expliquer comment il a pu se rendre coupable d’une pareille inconvenance. Venons en aide à notre rêveur et donnons-lui cette explication qu’il ne peut trouver. Il n’est pas

  1. Nouveaux essais, liv.  II, chap.  I.
  2. Voir la Revue scientifique du 23 septembre 1882.

    Citons aussi le savant travail de M. Delbœuf dans la Revue philosophique du 1er février 1880.