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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/126

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besoin de la chercher bien loin, ni dans quelque souvenir d’enfance, ni dans quelque aventure tragique ou comique dans laquelle il aurait été acteur ou spectateur, ni dans quelque grosse étourderie de toilette, commise les yeux ouverts. Quelque distrait qu’on soit, et fût-on de la famille de Ménalque, la distraction ne va pas jusque-là. La cause en est tout simplement dans le sentiment vague que nous avons en dormant du déshabillé très réel où nous sommes pendant le sommeil, la nuit entre deux draps.

Bien plus encore que le monde extérieur, l’état de notre corps, l’état de nos organes et de leurs fonctions affectent nos rêves. Beaucoup ont pour origine au début des sensations de bien-être ou de gêne, de plaisir ou de douleur qui deviennent non pas plus vives, mais plus distinctes en l’absence des distractions de la veille et qui évoquent, en les liant plus ou moins bien ensemble les images tristes ou agréables qui constituent certains songes. La mollesse de la couche, un sentiment de bien-être, telle ou telle pose, un malaise intérieur quelconque, la faim, la soif, une digestion laborieuse, une difficulté de respirer, une lésion organique, une prédisposition à telle ou telle maladie, servent de donnée fondamentale, pour ainsi dire, à telle ou telle espèce de rêves. Aussi, depuis Hippocrate et Galien, les médecins ont-ils considéré le retour habituel de certains rêves comme un indice qui n’est pas à négliger de certains états physiologiques et pathologiques des organes et des fonctions du corps.

Si les rêves reçoivent le contre-coup des impressions extérieures et de l’état pathologique de l’intérieur du corps, il est vrai qu’ils ne les représentent pas d’ordinaire sans les altérer de plus d’une façon. Les plus petits mouvements, comme l’a remarqué Aristote, y deviennent énormes ; le moindre bruit est un coup de canon ou un éclat de tonnerre ; la plus légère piqûre est le poignard d’un assassin, le plus léger malaise un horrible supplice. Cependant, à travers ces exagérations et ces grossissements, à travers ces bizarres transformations, il n’est pas difficile d’arriver jusqu’à l’impression réelle qui en est le premier chainon et qui a donné le branle au rêve tout entier.

De même aussi, les rêves sont comme un miroir de l’âme où viennent se refléter en plus ou moins gros caractères, non pas seulement nos passions dominantes, mais nos inclinations secrètes, bonnes ou mauvaises. Dans la veille, nous ne démêlons pas toujours très bien ces secrets penchants à travers la complexité des mobiles et des tendances, ou même nous nous refusons à les voir par-amour propre et trop bonne opinion de nous-mêmes. Si le rêve est trompeur en