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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/127

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BOUILLIER. — responsabilité morale dans le rêve

fait d’images, il ne l’est pas dans la mise en jeu des vrais sentiments qui nous guident ; il est naïf et exempt, en grande partie, des artifices, des dissimulations de la veille et de la mauvaise foi dont on use trop souvent envers soi-même.

D’ailleurs l’esprit qui rêve n’est-il pas essentiellement le même que celui qui veille ? Par quelle transformation de son essence n’en garderait-il pas au moins les attitudes et les tendances fondamentales ? Tel est, dans la vie du jour le caractère d’un individu, faible ou énergique, froid ou passionné, franc ou dissimulé, tel il sera dans les péripéties de la vie imaginaire du rêve. La personnalité morale demeure la même. Loin que le sommeil, comme on l’a dit, suspende habitude, c’est alors surtout qu’elle devient maitresse, sans nul empêchement de la raison.

II

Quoique nous ayons comparé le rêve à un miroir bon à consulter pour le corps et pour l’âme, nous n’avons garde de lui attribuer des propriétés magiques, une sorte de seconde vue, la prévision des choses futures, comme l’ont fait les prêtres, les devins, quelques philosophes de l’antiquité, surtout les stoïciens, et même quelques modernes, soit par superstition, soit par mysticisme, soit par erreur philosophique. Nous sommes tout aussi éloigné que Cicéron lui-même de cette opinion du stoïcien Quintus sur les facultés merveilleuses de l’âme pendant le sommeil : « Cum ergo est sevocatus animus et societate et contagione corporis, tum meminit præteritorum, præsentia cernit, futura prævidet. Jacet enim corpus dormientis ut mortui, viget autem et vivit animus.[1] » Avec quel esprit et quel bon sens Cicéron ne fait-il pas justice de cette antithèse de Quintus, et ne réfute-t-il pas la prétendue supériorité de l’âme endormie sur l’âme éveillée ? Les stoïciens n’étaient d’ailleurs que les interprètes de la vieille croyance populaire à la divination par les songes, superstition qui en a enfanté tant d’autres, qui s’est prolongée à travers les âges et dont les traces subsistent encore parmi nous. Même parmi les modernes, et jusqu’à nos jours, nous trouverions des esprits, d’ailleurs éclairés, qui ont eu plus ou moins foi à une lucidité supérieure de l’âme pendant le sommeil, aux avertissements divins ou au caractère fatidique des songes. La Mothe Levayer, dans son Traité sur le

  1. De Divinat., lib.  I, cap.  xxx.