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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/133

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BOUILLIER. — responsabilité morale dans le rêve

tion qu’ait le corps. Ainsi je puis me vanter que mes songes ne me représentent jamais rien de fâcheux, et sans doute qu’on a grand avantage à l’être dès longtemps accoutumé à n’avoir point de tristes pensées[1]. »

Il faut faire cette réserve au sujet des mauvais rêves, qui viennent d’une mauvaise disposition de tempérament. Mais il ne faut pas la séparer de ce qu’ajoute Descartes : « qu’une pensée qu’on a eue souvent, l’esprit étant en liberté, revient dans le rêve, par la force de l’habitude, quelque indisposition qu’ait le corps. » Ainsi donc, selon Descartes, comme selon Platon, une relation morale existe entre l’état de l’esprit dans la veille et l’état de l’esprit dans le rêve, et quelque chose doit s’y retrouver de l’habituelle sérénité des pensées du sage. Dis-moi ce que tu fèves, je te dirai qui tu es, telle est la forme vulgaire et concise à laquelle on peut ramener cette analyse psychologique et morale. Voilà donc dans le rêve un premier élément de responsabilité dont nous aurons à apprécier plus tard le vrai caractère et la mesure. Mais, à côté de cet élément purement représentatif, n’en est-il pas encore un autre, un élément actif, dont nous devons aussi tenir compte ?

IV

L’esprit en effet n’est pas purement passif dans le sommeil ; il n’est pas semblable à une glace qui reçoit, sans jamais réagir, toutes les images qu’elle réfléchit. Si nous ne sommes pas de ceux qui croient, comme Jouffroy, que la volonté s’y conserve intacte, veillant sur toutes choses, nous ne pensons pas non plus qu’elle soit totalement suspendue. Il y a lieu de ne pas recevoir sans restriction un principe généralement admis par les casuistes : non datur in somno libertas, d’après sans doute l’autorité de saint Thomas. Mais nous verrons plus tard avec quelles réserves : il a dit in somno non habet ratio liberum arbitrium. Tout de même en effet que, pendant le sommeil, subsistent, comme nous l’avons vu, des perceptions et des sensations très réelles, tout de même on peut encore y découvrir quelques vestiges d’une certaine direction intellectuelle, quelques moments de lucidité partielle, quelques efforts d’attention et de mémoire, quelques lueurs de raison et de bon sens. Au milieu des rêves les plus insensés se rencontrent

  1. Edit, Cousin, tome IX, p. 224.