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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/136

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fois, qui faisons les demandes et les réponses, les objections et les répliques, qui rectifions même parfois quelques faux raisonnements et quelques erreurs, sauf à en commettre bien d’autres.

Outre cette mémoire passive, qui est le fond même du rêve la mémoire active intervient fréquemment. Il se fait en dormant des efforts de mémoire, comme pendant la veille, pour reconstituer un fait à demi oublié, pour recomposer telle ou telle scène, telle figure ou même pour se rappeler un nom. Un rêveur se fatigue une partie de la nuit à rechercher les dernières syllabes d’un mot dont la première est seule restée dans l’esprit, de même qu’il arrive pendant la veille. Se réveiller à une heure plus matinale que l’heure accoutumée, quand on en a pris la résolution en s’endormant, se réveiller à point nommé, n’est-ce pas aussi le fait, comme Jouffroy l’a montré, de la volonté qui n’a pas tout à fait abdiqué, et qui demeure fidèle à une sorte de consigne qu’elle s’est donnée à elle-même ?

De tout cet ensemble de faits, à la portée des observations nocturnes de chacun de nous, il résulte que l’esprit n’est pas aussi passif dans le rêve qu’on a coutume de le croire. Toutes ces questions qu’on s’adresse à soi-même en rêvant, ces doutes qui traversent l’esprit, ces images et ces visions qu’on corrige et redresse plus ou moins, cette confrontation, quelque imparfaite et fugitive qu’elle soit, avec la réalité, ces efforts intermittents de volonté, d’attention et de mémoire attestent que la veille tient encore une certaine place au sein du rêve. L’esprit dans le sommeil n’est pas toujours dupe ; il ne prend pas toujours aveuglément le pays des rêves pour celui de la réalité.

Nous n’avons pas encore montré toute la part que l’esprit conserve de la veille dans le rêve. Quelque chose survit encore, à savoir le jugement moral avec tous les sentiments qui l’accompagnent.

Ce que nous approuvons ou condamnons le jour, soit en nous-mêmes, soit dans les autres, nous l’approuvons et le condamnons également dans le rêve. Peut-être même est-ce au regard des notions morales de chacun qu’il y a le moins d’altération dans le passage de la vie réelle à la vie du rêve. Tels nous concevons le bien ou le mal quand nous avons notre liberté d’esprit, soit dans leur pureté et leur sincérité, soit avec l’alliage des intérêts, des préjugés, des passions, avec les sophismes et les capitulations d’une conscience erronée, tels ils subsistent dans notre imagination au milieu de toutes les relations, transactions et scènes imaginaires des songes. On s’en étonnera moins si l’on réfléchit que les jugements moraux sont ce qu’il y a de plus profond, de plus intime dans la conscience. S’agit-il de nous résoudre, de prendre un parti, de faire telle ou telle