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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/137

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BOUILLIER. — responsabilité morale dans le rêve

action, nous nous guidons en rêve d’après les mêmes sentiments et les mêmes motifs, nous sommes retenus par les mêmes scrupules que durant la veille. Le repentir et le remords suivent pour des faits et dans des circonstances analogues. Une action basse et mauvaise trouble, ne serait-ce qu’un instant, notre conscience, comme elle la troublerait pendant la veille. De même aussi, nous nous applaudissons à nous-même pour quelque haut fait ou sacrifice imaginaire, comme si nous l’eussions réellement accompli. C’est une grande satisfaction au réveil de s’apercevoir qu’on est innocent de la faute rêvée et qu’on n’a manqué ni à l’honnêteté ni à l’honneur, comme aussi une légère désillusion de n’avoir eu de l’héroïsme qu’en songe. Ainsi le rêve, reflet de la vie réelle tout entière, l’est-il aussi, plus exactement encore de la vie morale. Quels sont ceux qui rêvent des pièges où ils font tomber les autres, des perfidies, des noirs complots, de basses intrigues où ils jouent le principal rôle ? Qui se voit et se sait en rêve voleur et assassin ? Nous osons affirmer que ce n’est pas l’homme de bien, sinon il faudrait, ce qui n’est pas, que de la veille au sommeil il ait été métamorphosé dans son être le plus intime. Nous ne prétendons pas cependant que, dans les rêves du sage et du juste, il ne puisse rien se rencontrer qui soit contraire à la morale. Il y a lieu d’abord de rappeler ici l’exception faite par Descartes touchant les dispositions du tempérament. En outre, bien que la sagesse en nous soit venue plus tard avec le repentir, le rêve peut se référer à la période antérieure d’une vie dissipée ou à des tentations dont le saint lui-même n’est pas exempt, mais auxquelles il ne succombe pas. De là par exemple ces rêves impurs dont saint Augustin dans ses Confessions demande pardon à Dieu.

Nous pouvons néanmoins soutenir d’une manière générale, et sauf ces exceptions, que les rêves du sage et de l’homme de bien sont plus ou moins à l’image de ses habitudes morales, de ses bonnes pensées, de son amour du bien et de ses vertus durant le cours de la vie réelle. Quelque chose doit passer dans ses rêves de cet état de justice et de sainteté, de cet état de grâce, comme disent les théologiens, dont son âme est pour ainsi dire imprégnée. Par contre, la noirceur, les troubles de l’âme du méchant doivent s’y montrer, et peut-être même d’autant plus à nu qu’il est moins sollicité par le besoin de feindre ou de dissimuler ses vrais sentiments, de se contenir sous les yeux des siens, de la société, des magistrats et de la loi, et qu’il est plus affranchi de toute contrainte et de tout respect humain. C’est en vertu de cette harmonie morale de la veille et du rêve que saint Augustin a pu dire : S’il y avait dans le paradis la même alternative entre ces deux états du sommeil et de la veille, les