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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/138

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rêves de ses habitants seraient parfaitement heureux[1]. Selon Malebranche, les enfants régénérés par le baptême ont une disposition de cœur semblable à celle des justes dans les illusions de la nuit[2]. Par là, Malcbranche veut dire, comme saint Augustin, que les illusions de la nuit chez les justes sont en rapport avec la pureté de leur âme. D’après une expression plus vulgaire de la même vérité : Pour passer une bonne nuit, il faut avoir passé une bonne journée.

V

Si la veille influe d’une manière si générale et si profonde sur le rêve, le rêve à son tour, par une sorte de réaction, peut influer en certaines circonstances sur les actes de la veille. Les vives images du rêve, dont l’impression demeure au réveil dans l’esprit, peuvent déterminer la volonté, en tel ou tel sens. Les aveux de Marc Aurèle lui-même en sont une preuve. Mais c’est là une question que nous nous bornons à indiquer en passant sans vouloir la traiter ici.

Nous croyons avoir solidement établi le double fondement de la responsabilité qui subsiste, selon nous, dans le rêve : le rêve est l’image de la vie réelle, le rêve n’exclut pas totalement la volonté et la raison.

Il nous reste à déterminer la nature et les limites de cette responsabilité ; qu’il ne faut ni méconnaître ni exagérer. Il est inutile de nous arrêter longtemps à démontrer que nul de nos semblables ne saurait encourir, du fait de nos propres rêves, aucune responsabilité, quelque rôle odieux que lui ait fait jouer notre imagination nocturne, nous eût-il apparu comme un traître, un empoisonneur et un assassin dans les ombres de la nuit. De pareils rêves ne témoignent que de l’état de notre esprit à l’égard d’autrui, de nos soupçons, de nos défiances de la veille, sans qu’il en résulte aucune charge devant aucun tribunal, sans qu’aucun nouvel indice s’ajoute ou supplée à ceux que fournit la vie réelle, sans que de ce seul fait nulle vengeance individuelle, nulle peine, puisse se justifier. Quoi de plus odieux que Cambyse, qui, d’après Hérodote, fit mettre à mort son frère

  1. Saint Augustin a dit encore, dans un passage cité par saint Thomas, 12 super Genesim ad litteram : « Propter bonam animæ affectionem quædam ejus merita in somuiis clarent. »
  2. Recherche, 2e liv. , Ire partie, chap.  vit.