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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/140

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Même encore, à ce point de vue tout subjectif, ne faudrait-il rien exagérer et par un excès de délicatesse et de scrupule, mettre les fautes rêvées à l’égal, ou même presque à légal des fautes réelles et librement accomplies. Si, sur la seule foi d’un rêve, il ne faut pas être prompt à condamner les autres, il ne faut pas non plus être trop prompt à se condamner soi-même. Dans les vies de pieux solitaires, de grands pénitents, dans les Tentations de saint Antoine ou dans les Confessions de saint Augustin, il y a de nombreux exemples de remords à l’occasion de simples rêves, bien que repoussés avec horreur au réveil.

Ainsi saint Augustin demande : t-il pardon à Dieu du plaisir que lui ont fait éprouver en rêve des images impures et de la sorte de consentement qu’il leur a donné, quoique son âme éveillée résiste aux séductions des réalités. Ne suis-je donc pas le même homme, s’écrie-t-il, dans la veille et dans le sommeil ? Il a beau s’assurer au réveil que ces fautes n’ont pas été réellement commises, sa conscience n’en est pas moins profondément troublée. Il s’afflige que de telles images, en une façon quelconque, aient pu se produire en lui : quod tamen in nobis quoquo modo factum esse doleamus. Par quelle ardente prière il conjure Dieu d’écarter de lui à l’avenir toute souillure même dans le sommeil et en songe[1].

Ces questions que se pose saint Augustin, saint Thomas les résout avec des distinctions et des décisions non moins fines et exactes en psychologie que sages et sûres en morale et en casuistique[2]. Le cas qu’il traite est un cas spécial, celui des rêves impurs ; mais les distinctions qu’il fait et les solutions qu’il donne peuvent s’appliquer à toutes les fautes ou crimes commis en imagination pendant le rêve. À les considérer en eux-mêmes, ce ne sont pas, selon saint Thomas, des péchés : non habent rationem peccati. Mais, à les considérer dans leurs causes, il y a des cas où le rêve peut être coupable. Ces causes sont de deux sortes, extérieures ou intérieures, corporelles ou spirituelles. Le rêveur n’encourt aucune responsabilité ; si son rêve n’est qu’un effet du tempérament et de l’état du corps ; il sera coupable s’il vient à la suite d’un excès volontaire de boire ou de manger. S’agit-il d’une cause non plus corporelle, mais intellectuelle et morale, il n’y aura faute que si le rêve est la suite d’une pensée coupable à laquelle l’esprit s’est complaisamment arrêté pendant la veille. Saint Thomas conclut très bien que la faute ne réside

  1. Confes., lib.  X, cap.  xxx.
  2. Summa etc., secunda secundæ, quæst. 154 : Utrum pollutio nocturna sit peccatum ?