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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/152

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très grand avantage, lorsque j’écris, de me trouver actuellement dans l’oraison dont je traite, car je vois clairement alors que ni l’expression ni la pensée ne viennent de moi ; et quand c’est écrit, je ne puis plus comprendre comment j’ai pu le faire, ce qui m’arrive souvent. » — Au troisième degré, voici l’extase : « Cet état est un sommeil des puissances [facultés] où, sans être entièrement perdues en Dieu, elles n’entendent pourtant pas comment elles opèrent… On dirait quelqu’un qui, soupirant après la mort, tient déjà en main le cierge bénit et n’a plus qu’un souffle à exhaler pour se voir au comble de ses désirs. C’est pour l’âme une agonie pleine d’inexprimables délices, où elle se sent presque entièrement mourir à toutes les choses du monde et se repose avec ravissement dans la jouissance de son Dieu. Je ne trouve point d’autres termes pour peindre ni pour expliquer ce qu’elle éprouve. En cet état, elle ne sait que faire : elle ignore si elle parle, si elle se tait, si elle rit, si elle pleure ; c’est un glorieux délire, une céleste folie, une manière : de jouir souverainement délicieuse… Tandis qu’elle cherche ainsi son Dieu, l’âme se sent avec un très vif et très suave plaisir défaillir presque tout entière ; elle tombe dans une espèce d’évanouissement qui peu à peu enlève au corps la respiration et toutes les forces. Elle ne peut sans un très pénible effort faire même le moindre mouvement des mains : Les yeux se ferment sans qu’elle veuille les fermer, et, si elle les tient ouverts, elle ne voit presque rien. Elle est incapable de lire, en eût-elle le désir ; elle aperçoit bien des : lettres ; mais, comme l’esprit n’agit pas, elle ne peut ni les distinguer ni les assembler. Quand on lui parle, elle entend le son de la voix, mais non des paroles distinctes : Aussi elle ne reçoit aucun service de ses sens… Toutes les forces extérieures l’abandonnent : sentant par là croître les siennes, elle peut mieux jouir de sa gloire… À la vérité, st j’en juge par mon expérience, cette oraison est dans les commencements de si courte durée, qu’elle ne se révèle pas d’une manière aussi manifeste par les marques extérieures et par la suspension des sens. Il est à remarquer, du moins à mon avis, que cette suspension de toutes les puissances ne dure jamais longtemps ; c’est beaucoup quand elle va jusqu’à une-demi heure ; et je ne crois pas qu’elle m’ait jamais tant duré. Il faut l’avouer pourtant, il est difficile d’en juger, puisqu’on est alors privé de sentiment. Je veux simplement constater ceci : toutes les fois que cette suspension générale a lieu, il ne se passe guère de temps sans que quelqu’une des puissances revienne à elle. La volonté est celle qui se maintient le mieux dans l’union divine, mais les deux autres recommencent bientôt à l’importuner. Comme elle est dans le calme, elle les ramène et les suspend de nouveau ; elles de-