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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/153

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RIBOT. — l’anéantissement de la volonté

ainsi tranquilles quelque moment et reprennent ensuite leur vie naturelle. L’’oraison peut avec ces alternatives se prolonger et se prolonge, de fait, pendant quelques heures… Mais cet état d’extase complète, sans que l’imagination, selon moi également ravie, se porte à quelque objet étranger, est, je le répète, de courte durée. J’ajoute que les puissances ne revenant à elle qu’imparfaitement, elles peuvent rester dans une sorte de délire l’espace de quelques heures, pendant lesquelles Dieu de temps en temps les ravit de nouveau et les fixe en lui… Ce qui se passe dans cette union secrète est si caché qu’on ne saurait en parler plus clairement. L’âme se voit alors si près de Dieu et il lui en reste une certitude si ferme qu’elle ne peut concevoir le moindre doute sur la vérité d’une telle faveur. Toutes ses puissances perdent leur activité naturelle ; elles n’ont aucune connaissance de leurs opérations… Cet importun papillon de la mémoire voit donc ici ses ailes brûlées, et il n’a plus le pouvoir de voltiger ça et là. La volonté est sans doute occupée à aimer, mais elle ne comprend pas comment elle aime. Quant à l’entendement, s’il entend, c’est par un mode qui lui reste inconnu, et il ne peut comprendre rien de ce qu’il entend[1]. »

Je ne suivrai pas sainte Thérèse dans sa description du « ravissement » (ch.  XX), « cet aigle divin qui avec une impétuosité soudaine vous saisit et vous saisit et vous enlève. » Ces extraits suffisent, et si, on les lit avec attention, on n’hésitera pas à leur attribuer toute la valeur d’une bonne observation psychologique.

En examinant les relations détaillées d’autres extatiques (que je ne peux-rapporter, ici) je trouve qu’il y a lieu, pour notre sujet, d’établir deux catégories.

Dans la première, la motilité persiste à un certain degré. L’extatique suit dans son évolution et reproduit avec des mouvements appropriés la Passion, la Nativité ou quelque autre drame religieux. C’est une série d’images très intenses, ayant un point de départ invariable, un enchainement invariable qui se répète dans chaque accès avec un parfait automatisme. Marie de Mœrl, Louise Lateau en sont des exemples bien connus.

L’autre catégorie est celle de l’extase en repos. L’idée seule règne, d’ordinaire abstraite ou métaphysique : Dieu pour sainte Thérèse et Plotin, mieux encore le nirvâna des bouddhistes. Les mouvements sont supprimés ; one sent « qu’un reste d’agitation intérieure ».

Remarquons en passant combien ceci s’accorde avec ce qui a été

  1. Vie de sainte Thérèse écrite par elle-même, trad. du R. P. Bouix, 10e éd., pp. 90, 91, 96, 138, 142, 157, 177-180. Comparer aussi Plotin, Ennéades VI ; Tauler, Institution chrétienne, ch.  XII, XXVI, XXXV.