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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/154

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dit précédemment : qu’avec les idées abstraites la tendance au mouvement est à son minimum ; que ces idées étant des représentations de représentations, de purs schémas, l’élément moteur s’affaiblit dans la même mesure que l’élément représentatif.

Mais dans l’un et l’autre cas, l’état mental de l’extase est une infraction complète aux lois du mécanisme normal de la conscience. La conscience n’existe que sous la condition d’un changement perpétuel ; elle est essentiellement discontinue. Une conscience homogène et continue est une impossibilité. L’extase réalise tout ce qui est possible dans cette continuité ; mais sainte Thérèse vient de nous le dire : ou bien la conscience disparaît ou bien l’entendement et la mémoire — c’est-à-dire la discontinuité — reviennent par moments et ramènent la conscience.

Cette anomalie psychologique se complique d’une autre. Tout état de conscience tend à se dépenser en raison même de son intensité. Dans la plus haute extase, la dépense est nulle ou à peu près, et c’est grâce à l’absence de cette phase motrice que l’intensité intellectuelle se maintient. Le cerveau, organe à la fois intellectuel et moteur dans l’état normal, cesse d’être moteur. Bien plus, dans l’ordre intellectuel, les états de conscience hétérogènes et multiples qui constituent la vie ordinaire, ont disparu. Les sensations sont supprimées ; avec elles, les associations qu’elles suscitent. Une représentation unique absorbe tout. Si l’on compare l’activité psychique normale à un capital en circulation, sans cesse modifié par les recettes et les dépenses, on peut dire qu’ici le capital est ramassé en un bloc ; la diffusion devient concentration, l’extensif se transforme en intensif. Rien d’étonnant donc si, dans cet état d’éréthisme intellectuel, l’extatique paraît transfigurée au-dessus d’elle-même. Certes les visions de la grossière paysanne de Sanderet qui voyait une Vierge toute en or, dans un paradis en argent, ne ressemblent guère à celles d’une sainte Thérèse ou d’un Plotin ; mais chaque intelligence au moment de l’extase donne son maximum.

Est-il bien nécessaire maintenant de rechercher pourquoi, dans cet état, il n’y a ni choix ni actes ? Comment y aurait-il choix, puisque le choix suppose l’existence de ce tout complexe qu’on nomme le moi qui a disparu ; puisque, la personnalité étant réduite à une idée ou à une vision unique, il n’y a point d’état qui puisse être choisi, c’est-à-dire incorporé au tout, à l’exclusion des autres ; puisque, en un mot, il n’y a rien qui puisse choisir, rien qui puisse être choisi ? Autant vaudrait supposer une élection sans électeurs ni candidats.

L’action aussi est tarie dans sa source, anéantie. Il n’en subsiste