Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
revue philosophique

la connaît souvent beaucoup mieux que les descendants du parrain qui l’a si mal nommée ?

C’est ce second Berlioz, philosophe à ses heures, et alors d’une pénétration singulière et d’un admirable bon sens, que je vais interroger sur l’essence vocale de l’orchestre en général. Plus loin, je lui adresserai des questions sur les œuvres instrumentales. Lorsqu’il touche ces deux points, il n’a pas d’égal.

Ainsi que les auteurs que j’ai cités à propos de la psychologie de chaque instrument particulier, Berlioz reconnaît une voix aux principaux organes de l’orchestre. Il écrit sans hésiter, et en prenant toujours ce terme au pied de la lettre, la voix du cor, la voix des flûtes, des hautbois du violon. Il dit : « Les grands instruments de Sax, qui sont aux autres voix de l’orchestre comme une pièce de canon est à un fusil[1]. » Toutefois le mot tout seul ne lui suffit pas : il l’explique, il le commente, afin qu’on en saisisse la valeur psychologique et morale : « Et les voix multiples de l’orchestre qui se plaignent ou menacent, chacune à sa manière et dans son style, semblent n’en former qu’une seule, si grande est la force du sentiment qui les anime[2]. » Ces voix multiples, un vrai maître en tire de merveilleux effets ; il excelle à les fondre en une voix unique qui obéit à ses ordres : « Vienne un compositeur qui sait écrire ; qui possède son art à fond, qui, par conséquent, sait employer l’orchestre avec discernement, avec finesse, le faire parler avec esprit, se mouvoir avec grâce, jouer comme un gracieux enfant, ou chanter d’une voix puissante, ou tonner ou rugir[3]… » Selon Berlioz, les propriétés inhérentes aux timbres des instruments vont jusqu’à permettre de les substituer à l’occasion, et au grand profit de l’art, à la voix de l’acteur. « Oui, dit-il, ce sont les maîtres de l’école italienne qui, avec autant de bon sens que de grâce, ont les premiers imaginé de faire chanter l’orchestre et réciter les paroles sur une partie de remplissage, dans les scènes bouffes où le canto parlato est de rigueur, et dans beaucoup d’autres même où il serait absolument contraire au bon sens dramatique de faire chanter par l’acteur une vraie mélodie[4]. » Enfin, il y a des endroits où Berlioz donne aux masses instrumentales le nom tout à fait caractéristique de « chœurs de l’orchestre[5]. »

Des instruments et de l’orchestre, passons maintenant aux com-

  1. À travers chants, page 106, 1880.
  2. À travers chants, p. 53.
  3. Les grotesques de la musique, p. 224, 1880.
  4. Même ouvrage, p. 226.
  5. Les soirées de l’orchestre, p. 184, 1878.