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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/17

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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

positions musicales. Parmi les genres auxquels elles ont donné naissance, la symphonie est, en ce moment, le plus connu, le plus populaire et, à ce qu’il semble, le mieux compris. Traitons de celui-là avant d’aborder d’autres types qui sont aristocratiques et de difficile accès, comme le quatuor, la sonate, le concerto.

En attendant une histoire complète de la symphonie, M. Victor Wilder[1] en a brièvement esquissé les origines dans un résumé auquel je ferai plus d’un emprunt. Le savant critique cite d’abord un passage de Jacob Grimm[2] qui justifie notre point de vue psychologique : « De la récitation mesurée du vers sont sortis le chant et la chanson ; du chant, par un effort d’abstraction, sont sorties toutes les autres formes de la musique. » Gervinus[3] a fait observer que ce mot d’abstraction caractérise exactement la naissance de la musique instrumentale. Celle-ci, en effet, à son origine n’est autre chose, dit-il, qu’une imitation du chant vocal, arraché par un divorce violent au rythme de la poésie. — C’est une erreur de croire, à notre avis, que le chant ne s’est séparé des paroles qu’au prix d’un effort violent. Rien n’est plus naturel que l’acte par lequel le chant s’isole des mots chantés. Cet acte s’accomplit à chaque instant, par exemple lorsque quelqu’un chante l’air de Fleuve du Tage en ne prononçant que la syllabe ah ! ou lorsqu’on siffle le même air. Si la personne qui chante travaille en même temps à un ouvrage manuel, il lui arrive souvent de chanter tour à tour le même air avec paroles et sans paroles, comme pour se reposer de la parole chantée par l’émission de la voix sans articulation précise. Il n’y a là ni divorce, ni effort, ni violence. On fausse ainsi les phénomènes les plus simples, des plus quotidiens, par l’application tantôt exclusive, tantôt prédominante de la méthode historique à des objets actuels qui sont sous nos yeux et qu’il ne s’agit que de bien regarder. Retenons toutefois la partie de l’observation qui est vraie et qui seule nous importe : c’est que la musique instrumentale dérive du chant vocal par un procédé d’imitation. On ne dit pas autre chose, mais on croit parler avec une clarté, avec une précision plus scientifiques en employant la formule que je propose de nouveau : la musique instrumentale est l’analogue de la voix humaine chantant sans paroles : par conséquent, c’est encore une musique vocale, d’une autre espèce sans doute, mais de même essence.

Du jour où la musique instrumentale est constituée à l’état distinct,

  1. Feuilleton du Parlement, du 15 mars 1881.
  2. Alle übrige Musik.
  3. Haendel und Shakespeare.