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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/169

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RIBOT. — l’anéantissement de la volonté

I. Examinons d’abord les conditions matérielles de cette coordination. La volonté, qui, chez quelque privilégiés, atteint une puissance si extraordinaire et fait de si grandes choses, a une origine très humble. Elle se trouve dans cette propriété biologique inhérente à toute matière vivante et qu’on nomme l’irritabilité, c’est-à-dire la réaction contre les forces extérieures. L’irritabilité — forme physiologique de loi d’inertie — est en quelque sorte un état d’indifférenciation primordiale d’où sortiront, par une différenciation ultérieure, la sensibilité proprement dite et la motilité, ces deux grandes bases de la vie psychique.

Rappelons que la motilité (qui seule nous intéresse ici) se manifeste, même dans le règne végétal, sous des formes diverses : par les mouvements de certaines spores, de la sensitive, de la dionée et de beaucoup d’autres plantes auxquels Darwin a consacré un ouvrage très connu. — La masse protoplasmatique, d’apparence homogène, qui compose à elle seule certains êtres très rudimentaires, est douée de motilité. L’amibe, le globule blanc da sang, à l’aide des expansions qu’ils émettent, cheminent peu à peu. Ces faits, qu’on trouvera décrits avec abondance dans les ouvrages spéciaux, nous montrent que la motilité apparaît bien avant les muscles et le système nerveux, si rudimentaires qu’ils soient.

Nous n’avons pas à suivre l’évolution de ces deux appareils de perfectionnement à travers la série animale. Notons seulement que les travaux sur la localisation des centres moteurs, si importants pour le mécanisme de la volonté, ont conduit quelques savants à étudier l’état de ces centres chez les animaux nouveau-nés. « Cette recherche, faite avec grand soin par Soltmann, en 1875, a fourni les résultats suivants. Chez les lapins et les chiens, il n’existe, aussitôt après la naissance, aucun point de l’écorce cérébrale dont l’irritation électrique soit capable de déterminer des mouvements. C’est seulement au dixième jour que se développent les centres des membres antérieurs. Au treizième jour apparaissent les centres des membres postérieurs. Au seizième, ces centres sont déjà bien distincts entre eux et de ceux de la face. Une conclusion à tirer de ces résultats, c’est que l’absence de direction motrice volontaire coïncide avec l’absence des organes appropriés et que, à mesure que l’animal devient plus maître de ses mouvements, les centres cérébraux dans lesquels se fait l’élaboration volontaire acquièrent une indépendance plus manifeste[1]. »

  1. Dictionnaire encycl. des sciences médicales. François Franck, art. Nerveux, p. 585.