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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/173

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RIBOT. — l’anéantissement de la volonté

Après avoir éclairci dans la mesure possible ce fait capital du choix, revenons aux divers degrés de coordination. Ni serait naturel de commencer par le plus bas ; mais je crois utile, pour des raisons de clarté, de suivre l’ordre inverse.

La coordination la plus parfaite est celle des plus hautes volontés, des grands actifs, quel que soit l’ordre de leur activité : César, ou Michel-Ange, ou saint Vincent de Paul. Elle se résume en quelques mots : unité, stabilité, puissance. L’unité extérieure de leur vie est dans l’unité de leur but, toujours poursuivi, créant au gré des circonstances des coordinations et adaptations nouvelles. Mais cette unité extérieure n’est elle-même que l’expression d’une unité intérieure, celle de leur caractère. C’est parce qu’ils restent les mêmes que leur but reste le même. Leur fond est une passion puissante, inextinguible, qui met les idées à son service. Cette passion, c’est eux, c’est l’expression psychique de leur constitution telle que la nature l’a faite. Aussi, comme tout ce qui sort de cette coordination reste dans l’ombre, inefficace, stérile, oublié, semblable à une végétation parasite ! Ils offrent le type d’une vie toujours d’accord avec elle-même, parce que chez eux tout conspire, converge et consent. Même dans la vie ordinaire, ces caractère se rencontrent, sans faire parler d’eux, parce que l’élévation du but, les circonstances et surtout la puissance de la passion leur a manqué ; ils n’en ont gardé que la stabilité. — Sur une autre forme, les grands stoïciens historiques, Épictète, Thraséas (je ne parle pas de leur Sage, qui n’est qu’un idéal abstrait), ont réalisé ce type supérieur de volonté sous sa forme négative, — l’arrêt, — conformément à la maxime de l’École : supporte et abstiens-toi.

Au-dessous de cette coordination parfaite, il y a les vies traversées d’intermittence, dont le centre de gravité, ordinairement stable, oscille pourtant de temps en temps. Un groupe de tendances fait une sécession temporaire à action limitée, exprimant, tant qu’elles existent et agissent, un côté du caractère. Ni pour eux ni pour les autres, ces individus n’ont l’unité des grandes volontés, et plus ces infractions à la coordination parfaite sont fréquentes et de nature complexe, plus la puissance volontaire diminue. Dans la réalité, tous ces degrés se rencontrent.

En descendant toujours, nous arrivons à ces vies en partie double, dans lesquelles deux tendances contraires ou simplement différentes l’emportent tour à tour. Il y a dans l’individu deux centres de gravité alternatifs, deux points de convergence pour des coordinations successivement prépondérantes, mais partielles. À tout prendre, c’est là peut-être le type le plus commun, si l’on regarde autour de