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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/205

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ANALYSES.c. darwin. Rôle des vers de terre.

nuit est leur période d’activité. — Comme il ne s’agit probablement pas d’on cas d’adaptation ultérieure, cette haine de la lumière et de la sécheresse nous reporte à cet âge lointain de la terre où les continents émergés récemment étaient éclairés par un soleil diffus, noyé de vapeurs lourdes ; les habitudes que nous allons étudier remontent pour le moins à l’époque carbonifère. — Les vers ne sont en relation qu’avec des espèces ennemies, les scolopendres (Hoffmeister), les courtillières (nous l’avons constaté), un grand nombre d’oiseaux et quelques petits mammifères, comme les musareignes et les taupes.

Phénomènes de représentation ou de discernement. — 1o Perceptions des sens. — Les vers n’ont point d’yeux, mais leurs téguments dans la partie antérieure du corps sont sensibles à la lumière. Darwin expose très exactement leur manière d’être, quand on approche d’eux doucement une lumière un peu vive, comme celle d’une lampe à pétrole. « Quand ils ne se retiraient pas tout de suite, il leur arrivait souvent de soulever du sol l’extrémité antérieure effilée de leur corps, comme si leur attention était excitée, et comme s’ils éprouvaient de la surprise. » L’impression est progressive ; ils commencent par ralentir leurs mouvements, puis ils se retirent peu à peu dans leurs trous, comme ils le font sans doute à l’aube ; nous l’avons constaté maintes fois. La lumière affecte donc les vers « par son intensité et par sa durée » ; elle traverse leur peau et excite d’une certaine manière leurs ganglions cérébroïdes. Le but étant pour eux de discerner le jour, où leurs ennemis sont en mouvement, de la nuit où ils jouissent d’une sécurité relative, l’adaptation n’a pas été poussée plus loin. Quant à leur sensibilité à la chaleur, les expériences de Darwin, suivies de résultats contradictoires (p. 21), ne paraissent pas décisives sur ce point. Il n’est pas douteux que les vers craignent le froid autant que la sécheresse, puisqu’ils s’enfoncent fort avant dans la terre pendant l’hiver. — « Les vers sont dépourvus du sens de l’ouïe. » Darwin le conclut de ce que le son rapproché d’un sifflet de métal ne les émeut pas. « Mais ils sont, ajoute-t-il, extrêmement sensibles aux vibrations d’un corps solide quelconque. » Cette sensibilité, à vrai dire, produit les mêmes effets que la perception des sons. Nous en avons fait cent fois l’expérience. Quand dans une allée garnie de gravier nous arrivions à un mètre ou un mètre et demi des vers, ils percevaient soit l’ébranlement, soit le bruit de nos pas, et disparaissaient aussitôt. Nous devions, pour les approcher, marcher très doucement, en remuant les cailloux le moins possible, La différenciation entre les perceptions tactiles d’ordres divers ne s’est sans doute pas encore opérée chez eux. — Le toucher reste leur sens dominant ; toutes les parties du corps sont sensibles au contact, un léger souffle détermine leur fuite, et, par les muscles de la bouche, ils acquièrent, comme nous le verrons, des représentations assez précises. — Ils ont cependant un moyen de discerner les aliments à distance, l’odorat. Darwin l’a prouvé en enfouissant des feuilles de choux et des morceaux d’oignons, que les