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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/207

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ANALYSES.c. darwin. Rôle des vers de terre.

distinguer les objets comme touts. Cette notion d’objets extérieurs est très intense parfois ; les pêcheurs à la ligne savent combien il est difficile d’enfoncer un hameçon dans la bouche d’un ver quand une fois il a perçu la forme de la pointe, et combien il y a d’efforts à faire pour le retenir entre les doigts. Enfin, s’il est vrai que ce soit la crainte de la taupe qui fait sortir les vers du sol quand on le remue avec un bâton par petites secousses régulières, ils prouveraient ainsi qu’ils ont quelque représentation d’un danger éloigné ; mais nous rencontrons là la question de l’instinct. Il est certain cependant que les vers peuvent reconnaître un ver de même espèce et se représentent sa taille et jusqu’à un certain point sa forme. Quelque but éloigné est peut être également présent à leur faculté mentale, quand ils se déterminent à risquer hors de leur trou des expéditions souvent fatales.

3o Conscience. — Que les vers connaissent leur propre corps, c’est ce qui résulte de l’exacte adaptation de leurs mouvements aux fins de leur entretien, de leur sécurité et de leur industrie. Darwin n’agite pas ce problème plus que le précédent. Il a sa place cependant dans la psychologie même du lombric. Les deux sont liés comme nous venons de le voir. La question est ici de savoir — toute connaissance prenant pour type la connaissance qu’on a de soi, ou conscience — comment dans un animal formé de cent à deux cents animaux, et pourvu d’un système nerveux aussi mal centralisé, le consensus représentatif et volontaire est assuré d’une manière aussi parfaite. Nous nous contentons de l’indiquer ; nous l’avons examinée ailleurs en traitant du rôle des ganglions cérébraux[1].

4o Mémoire. — Darwin n’a malheureusement pas institué d’expériences sur ce point. Nous n’avons à présenter qu’un petit nombre de faits. Les vers que nous avons observés se trouvaient disséminés dans un petit jardin en forme de rectangle attenant à la maison, et foisonnaient dans les chemins garnis de gravier. Les allées et venues près de la maison étaient fréquentes. Nous avons remarqué que ceux qui étaient près de la maison étaient sensiblement plus circonspects que ceux qui en étaient le plus éloignés, et que leur retraite, au bruit des pas, s’effectuait plus rapidement, Ils savent certainement retrouver des substances nutritives ou des objets utiles à leur industrie après une nuit d’intervalle. Mais il serait désirable que des expériences fussent faites sur ce point par les procédés d’enfouissement rapportés plus haut. Nous avons écarté autour d’un trou ancien appartenant à l’un des plus gros vers tout le gravier accumulé dans un cercle d’un décimètre et demi de diamètre environ. Quelques jours après, plusieurs cailloux avaient été ramenés à l’ouverture. En 1868, une dame anglaise a fait la même expérience[2]. Le ver savait donc qu’il trouverait de ces

  1. Voir les Sociétés animales, 2e édition, p. 202, et surtout les Colonies animales de M. Perrier, p. 490 et suivantes.
  2. Darwin la rapporte avec détails, p. 49.