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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/209

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ANALYSES.c. darwin. Rôle des vers de terre.

comme elle aboutit à une catégorie de mouvements, nous croyons devoir la séparer des émotions, qui en tant que modifications agréables ou désagréables, forment une classe à part, et se rattacheraient plutôt à la conscience, comme sous-classe des phénomènes de représentation.

1o Attention. — L’activité des vers offre des degrés divers d’intensité. Tantôt ils travaillent avec énergie, tantôt plus mollement. Les premières heures de la nuit paraissent surtout occupées à la recherche de la nourriture et à la construction. Leur activité est telle à ce moment que, dans le petit jardin dont nous avons parlé, ce qui nous a déterminé à observer leurs habitudes, c’est le bruit assez fort produit de tous côtés par le roulement des cailloux, bruit que nous ne savions d’abord à quelle cause attribuer. Ils travaillent ainsi avec opiniâtreté pendant de longues heures, trainant des cailloux quelquefois fort gros. La dame anglaise, dont l’observation a été rapportée ci-dessus, en a vu traîner un pesant deux onces (?) ; nous en avons conservé un, pris dans la bouche d’un ver de taille moyenne, qui pèse 5 gr. 26. De plus gros et de plus lourds avaient certainement été amenés de même à l’orifice des galeries ; mais nous ne les avons pas vus dans la bouche des vers. L’énergie, la persévérance apportée par eux à ce travail sont telles qu’ils en sont comme absorbés et en oublient leur circonspection habituelle. Quand, au moment où nous suivions l’allée engravée, nous surprenions un retardataire, nous étions sûr de le voir avec un caillou à la bouche. Ce phénomène ne peut porter d’autre nom que celui d’attention. Il frappera tous ceux qui voudront bien y réfléchir ; il a vivement frappé Darwin (pages 19 et 20). L’attention du ver est également très vive quand il recherche sa nourriture, mais il nous a semblé que la traction des cailloux les absorbait plus que toute autre occupation et en effet elle exige d’eux des combinaisons plus complexes, un plus grand « travail de tête ». Il faut mettre à part l’excitation sexuelle, qui atteint son maximum pendant l’accouplement. À ce moment, mais pour une autre cause (en raison de l’intensité des émotions), les vers ne perçoivent plus rien ; la lumière a déjà chassé depuis longtemps dans leur trou les autres vers que les vers accouplés gisent encore sur les plates-bandes ou les allées, comme des masses de chairs sanguinolentes. Il faut les secouer brutalement pour qu’ils se décident à rompre leur union et à disparaître[1].

2o Hésitation. — Hésiter, c’est presque réfléchir. Les vers hésitent sans cesse quand ils se demandent quel est le meilleur caillou à prendre, quelle feuille il faut abandonner, quelle il faut porter jusqu’au bout, et quand ils ont l’air de chercher s’ils doivent fuir instantanément ou continuer leur occupation, dans le cas où le bruit perçu n’est pas trop rapproché. D’autres fois, et c’est l’ordinaire, ils disparaissent

  1. Cela se passe en mai et juin dans le département du Nord.