Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
ANALYSES.c. darwin. Rôle des vers de terre.

se trouve exactement dans les mêmes dispositions que lui et alors il est vraisemblable que le besoin le pousse à quitter son trou pour en rechercher un. On les voit d’ordinaire par les soirées tièdes de mai et de juin, sortir en déroulant leurs anneaux de leur galerie et, les derniers anneaux restant accrochés pour assurer la rétraction rapide en cas de danger, frapper de partie antérieure de leur corps, comme d’un fouet et avec force, la terre environnante. Quand un autre ver est à portée, c’est ainsi qu’ils finissent par se rencontrer pour l’accouplement. Il nous a semblé que plusieurs galeries se trouvaient d’ordinaire placées près les unes des autres deux à deux, précisément en vue de l’accouplement de ces animaux androgynes. Sur une corbeille vide de fleurs et où la terre avait été tassée, les orifices des galeries se rencontraient presque tous deux à deux.

Émotions. — Il est évident que les vers peuvent souffrir. Le ver auquel on enfonce un hameçon se tord dans des convulsions désespérées. Les exhalaisons du chloroforme dans l’air semblent les incommoder vivement (Perrier). L’aspect des vers qui essayent de traverser les allées poudreuses et meurent inévitablement de sécheresse dans la traversée, est des plus misérables. Les signes de la joie dans cette espèce sont plus difficiles à interpréter. « À en juger par leur avidité pour certaines sortes de nourriture, ils doivent, dit Darwin (p. 28), ressentir quelque plaisir à manger. » Et en effet, quand nous essayons de nous représenter un ver heureux, nous pensons à ceux que nous avons vus dévorer à grandes bouchées la terre ou la mousse. La recherche sexuelle semble accompagnée d’une émotion intense.

Voilà à peu près ce qu’on sait, grâce surtout à Darwin, des facultés psychiques des vers terrestres, ajoutons des vers terrestres d’un petit nombre d’espèces, habitant l’Angleterre et le nord de la France. Il y aurait lieu d’étudier ceux qui habitent les pays chauds ; certaines espèces de l’Amérique du Sud dont M. Perrier a bien voulu nous faire voir au Muséum d’étonnants spécimens atteignent 1 m. 50 de long ; ils doivent offrir des manifestations psychiques : cognitives, volontaires, émotionnelles, beaucoup plus décidées que ceux de notre pays.

Nous avons présenté ce qui précède sous une forme différente de celle qu’avait adoptée l’illustre naturaliste ; c’est que notre but était autre que le sien. Tout en désirant faire connaître la partie de son livre qui intéresse les psychologues empiriques, nous avons voulu aussi leur proposer un plan provisoire d’une classification des phénomènes. On verra par là ce qu’il y aurait à faire pour toutes les espèces quelque peu importantes du règne animal. La synthèse psychologique ne pourra s’effectuer qu’après qu’un immense répertoire des faits de la vie animale aura été dressé, et sur un plan adopté de commun accord par la majorité des philosophes.

A. Espinas.