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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/245

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RICHET. — la personnalité dans le somnambulisme

costume ecclésiastique force celui qui l’a revêtu, s’il paraît en publie, à prendre les allures et les apparences d’un ecclésiastique. Certes, en même temps que ses gestes extérieurs, il aura, sans le vouloir, et peut-être même à son corps défendant, des idées religieuses, qu’il aura prises avec l’habit, et qui s’imposeront à lui. Il sera tenté de jouer au prêtre, comme un individu en costume militaire est tenté de jouer au soldat.

Quelque hasardée que soit cette explication du phénomène, il me paraît qu’elle est acceptable. L’objectivation des types dépend d’un trouble de la mémoire et d’un trouble de l’imagination. La mémoire de notre personnalité étant pervertie, la conscience de notre personne disparaît. L’imagination étant surexcitée, les hallucinations se produisent ; et alors le moi nouveau dépend uniquement de la nature de ces hallucinations.

Dans le sommeil ordinaire, le rêve n’est pas très différent de cette objectivation des somnambules.

En tout cas, on peut facilement voir l’analogie qui existe entre ces phénomènes et ceux qui ont été étudiés par divers auteurs[1].

Parmi les innombrables images que les choses extérieures ont fixées dans notre cerveau, il en est qui jouent dans notre existence intellectuelle un rôle prépondérant : ce sont celles qui sont relatives à notre moi. Ainsi je sais que je suis venu dans ma chambre il y a deux heures, que deux personnes m’ont parlé, que j’étais sorti dans la journée, que j’ai écrit une lettre hier, qu’il y a trois jours j’ai reçu telle autre lettre, qu’il y a un an j’étais encore ici, qu’il y a deux ans je voyageais dans tel pays, qu’il y a dix ans je faisais telle étude particulière, etc., etc. Toute cette somme de faits accomplis par moi, dans des conditions et des circonstances dont je me souviens, font que je suis telle personne, et non telle autre. Si j’étais un autre, j’aurais d’autres souvenirs. C’est parce que j’ai, présents à mon esprit, tous ces souvenirs d’actes, de pensées, de sentiments, qui me sont personnels, que je suis moi-même, et non pas un autre.

Ainsi la conscience de la personnalité dépend de nos souvenirs ; il y a là une collection d’images, toute particulière, que je ne puis pas ne pas évoquer. C’est un livre toujours ouvert, dont mes yeux ne peuvent pas un instant se détacher.

Mais que ces souvenirs personnels se dissipent ; que cette conscience du moi d’il y a une minute, du moi d’il y a un jour, du moi d’il y à un an, du moi d’il y a vingt ans, vienne à s’effacer ; alors je

  1. Voyez en particulier dans cette Revue l’intéressante notice de M. Paulhan, Variations de la personnalité à l’état normal, juin 1882, p. 639.