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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/314

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une multiplicité infinie, c’est une existence imparfaite, les deux éléments qui la constituent s’opposent et se contrarient. On peut concevoir une autre forme d’existence : faites abstraction des formes de l’espace et du temps, l’esprit n’a plus en face de lui qu’un seul objet, qui épuise sa puissance de penser. Le sensible ne disparaît pas : c’est le réel de l’existence, mais il n’en reste que l’intensité infinie, concentrée en un seul instant qui est l’Éternel. Ce mode d’existence est celui de Dieu, c’est la perfection même. Mais Dieu existe-t-il ? Tout ce que notre conscience peut nous donner, c’est l’idée d’une existence supérieure à la nôtre, nous ne pouvons savoir si ce qui est hors de nous est ou n’est pas. Sans doute nous n’entendons l’imparfait que comme déchu du parfait, mais cela revient seulement à dire que la pensée tend vers l’intuition pure, la sensibilité vers la béatitude. Est-ce à dire qu’à cette tendance réponde un objet réel, actuel ? La question reste sans réponse. L’athéisme panthéiste nie le parfait sans plus de raison. « La perfection et l’existence s’excluent, dit-on ; c’est une pétition de principe, on ne le prouve qu’en affirmant gratuitement que toute existence suppose les conditions de l’espace et du temps[1]. » Qui sait si l’existence dont nous avons conscience maintenant n’est pas une illusion d’optique, si elle n’est pas à l’existence véritable ce qu’est le rayon réfracté au rayon direct ?

Si l’on ne veut qu’établir l’existence d’un esprit universel, toutes les preuves sont bonnes, parce que nous ne comprenons que ce qui est rattaché à la pensée. Mais Dieu, ce n’est pas seulement la pensée, c’est la pensée distincte de la nature, ayant une conscience d’elle-même qui n’est pas notre conscience actuelle. Nous ne cherchons pas un Dieu individuel existant hors de nous, mais nous voulons un Dieu qui, la nature ôtée, ne soit pas une abstraction, un Dieu qui soit à la fois en nous et au-dessus de nous, un Dieu dont l’homme ne soit pas la réalité, mais qui soit la réalité de l’homme. C’est à ce Dieu que nous a conduit la réflexion sur notre nature et sur notre destinée. Prenant une conscience de plus en plus pure d’elle-même par la science et par l’art, la pensée se reconnaît comme la seule existence véritable, se prend pour fin, se veut elle-même et conçoit un acte éternel qui épuise tout l’Être. Devant ce bien absolu, tous les biens sensibles s’anéantissent : de là l’impératif catégorique, le devoir de réaliser au moins par des symboles la liberté absolue, de vouloir et d’espérer la perfection. « Dieu serait cet acte parfait s’accomplissant avec conscience et devenant la félicité absolue. » Mais ce Dieu existe-t-il ? la perfection est-elle réelle ? Toujours la même question se

  1. Théodicée, leç. VIII.