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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/315

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SÉAILLES. — philosophes contemporains

pose, toujours le même doute se soulève. L’acte moral résout le problème, en le supposant résolu. La bonne volonté est déjà par elle-même une croyance religieuse : nous devons vouloir quelque chose que nous ne pouvons accomplir ici-bas, nous devons symboliser par la charité l’union des âmes en Dieu dans la vie surnaturelle. L’acte moral nie la réalité du monde sensible, de l’homme, qui est la conscience de ce monde, « affirme pratiquement l’existence d’un être en dehors de notre conscience actuelle. Nous concevons la perfection, et nous avons conscience de notre existence dans le temps ; de ces deux choses, l’une seulement est la réalité, laquelle ? La foi est affaire de volonté ; nous pouvons non savoir que Dieu est, mais vouloir que Dieu soit. Peut-être est-ce l’épreuve qui nous est imposée en ce monde ? Nous devons décider que l’idéal est plus réel que le réel : καλὸς κίνδυνος. Le cœur a ses raisons que la raison ne comprend pas, dit Pascal, sursùm corda : le supérieur deviendra plus réel que l’inférieur[1] ; » on ne doute pas de ce qu’on voit, de ce qu’on veut, de ce qu’on aime, de ce dont on éprouve la réalité en la créant déjà en soi-même.

La croyance en Dieu n’est pas seulement supposée, elle est imposée par le devoir. Le devoir c’est de vouloir, c’est d’aimer la perfection. S’il dépend de nous d’imiter par des symboles l’existence intelligible, il ne dépend pas de nous de faire tomber les voiles de l’espace et du temps, de nous transporter dans l’éternel, d’échanger notre état naturel et sensible contre un état surnaturel et supra-sensible. De plus, la nature, comme menacée par la vertu, résiste, souffre, se révolte, s’indigne, et l’acte le plus parfait qui devrait donner la béatitude est l’acte le plus pénible, le plus difficile, le plus douloureux. Si ce qui est obligatoire est impossible, la vie est absurde, notre effort pour rendre tout intelligible finit sur une contradiction monstrueuse. Puisque nous ne pouvons faire tout ce que nous devons, anéantir la nature et trouver la béatitude dans le souverain bien, il reste d’admettre un principe sauveur, un principe de rédemption, de sanctification. L’homme peut être fier des progrès qu’il accomplit ici-bas par son intelligence et par son activité : le sentiment qui convient ici, c’est l’humilité, c’est le détachement complet de soi-même, c’est le mépris de l’homme impuissant et déchu, c’est la confiance dans le Dieu qui consomme l’œuvre du salut, fait ! de la vertu la sainteté, de l’effort la béatitude. « Comme nous fondant sur l’expérience nous devons croire à une nature bienveillante, qui continue de rendre possible la vie physique, qui fera germer demain le blé

  1. Théodicée, leç. IX.