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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/321

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SÉAILLES. — philosophes contemporains

sensibilité, l’esprit devient le monde et ses lois ; se recueillant, ramenant en soi ses rayons réfractés, il devient la raison pratique, le devoir, la liberté, l’absolu. Mais au-dessus des penseurs qui plus eu moins péniblement s’efforcent de démontrer à l’homme ce dont il devrait trouver en lui la conscience immédiate, au-dessus de tous les subtils qui cherchent à prendre l’esprit dans des raisonnements irréfutables, s’élève Jésus, l’’humble Galiléen, l’ami des pauvres. Né chez les alchimistes, qui dans la combinaison de leurs vertus et de leurs vices ont trouvé la pierre philosophale, il n’a même pas entendu le Satan juif, le démon de la cupidité, qui lui offrait la richesse et l’empire du monde. Jésus est vraiment Dieu, parce que de l’homme il n’a laissé en lui que Dieu qui est en tout homme ; parce qu’il a senti, éprouvé l’absolu ; parce qu’il a voulu souffrir, mourir pour tous ; parce qu’il est plus qu’un homme, l’homme même ; parce qu’il a dit : « Le pauvre que vous avez secouru, c’était moi. » Il est vraiment le Sauveur, le Rédempteur, parce qu’il a donné à tous dans son exemple, dans sa vie, dans sa mort le moyen pratique de devenir Dieu comme lui, par l’adoration spirituelle, par la prière et par la charité.

On a dit de cette philosophie qu’elle est « une crise » ; le mot n’est pas juste : si j’osais une définition psychologique de cette philosophie, je dirais qu’elle est la défaite d’une nature puissante par un esprit plus puissant encore. J’y retrouve je ne sais quel écho étrange et lointain des tentations des premiers âges du christianisme. Mais peut-on dire d’un système où tout se tient qu’il est une crise. Au milieu de ses sinuosités, la pensée coule large et continue. La vérité, dont tout dérive, n’est pas imposée par un coup d’autorité, elle est l’acte de foi de la raison en elle-même. Si l’on tient à comparer M. Lachelier à Pascal, il faut imaginer un Pascal épris de la raison, sûr de lui-même et de ses conclusions, une crise toute logique, tout intellectuelle, une lutte d’idées dans un puissant esprit, où les inquiétudes morales, les angoisses inséparables de la recherche de la vérité, deviennent les subtilités d’une dialectique qui veut répondre à toutes les exigences de la raison. C’est la continuité des vérités impliquées l’une dans l’autre qui fait la séduction du système. On ne le traverse pas sans être tenté de s’y tenir. Nous gardons la science, ses méthodes, ses principes, toute la vie spéculative, toute la vie pratique, le nécessaire, l’absolu : on ne croit pas payer tout cela trop cher d’un acte de foi sans lequel tout semble de nouveau perdu. Le renoncement, qui d’abord révolte la nature, m’est pas sans douceur. Ce monde qui nous tente et nous indigne ; toutes ces distinctions blessantes, que multiplie la vanité ; tous ces